ANACHRONISME. Il l’a fait. Le ministre de la Santé, Houcine El Ouardi, a lancé le 11 juin 2015, “l’opération de la dignité” pour évacuer les détenus du fameux mausolée Bouya Omar, près de Kalaat Sraghna.
Jeudi 11 juin 2015. Une date qui restera dans les annales. Le ministre de la Santé, El Houcine Ouardi, a lancé effectivement l’opération “Al Karama”, littéralement dignité, pour évacuer le mausolée Bouya Omar.
Cette initiative vise à libérer les 822 pensionnaires de ce sanctuaire, situé dans le village Attaouiya, près de la ville de Kalaat Sraghna, à 80 kilomètres de Marrakech, où ils subissaient un traitement inhumain. Le ministre a tenu donc la promesse qu’il a donnée le 19 mai 2015 au Parlement, «ce sera Bouya Omar ou moi».
La veille du lancement de l’opération, des convois d’ambulances en provenance de Marrakech commençaient déjà à affluer vers le village où se trouve mausolée. Le jour J arrivé, une importante équipe est déployée sur les lieux, avec une soixantaine d’ambulances, des camions de pompiers et des dizaines de gendarmes. Le Croissant rouge et même la Croix rouge étaient présents également. Ce sont eux d’ailleurs les premiers à prendre en charge les détenus du mausolée directement après leurs “libération”.
Ces derniers prennent tout d’abord une douche, mettent des vêtements neufs et passent chez le coiffeur. Aussi simple paraît-elle, cette procédure constitue pour le libéré, une rupture avec le passé honteux et douloureux. Ces détenus subissaient par la suite un double examen, l’un par un médecin généraliste et l’autre chez un psychiatre. Les deux passages aboutissent à l’élaboration de deux dossiers médicaux de chaque pensionnaire libéré.
S’ensuit l’évacuation par ambulance. Chaque véhicule transporte trois à quatre détenus vers des structures médicales dans plusieurs villes du Royaume, notamment Marrakech, Salé, Essaouira, Oujda, de façon à ce que le patient soit le plus proche possible de sa famille. Cependant, le rythme de l’évacuation, qui se déroule chaque jour de 9h du matin jusqu’à minuit, est lent. Moins de 20 cas traités sont transportés par jour. De ce fait, l’opération Al Karama devrait s’étaler sur une quinzaine de jours.
Cauchemars dissipés
Le choix du nom de l’opération n’est pas fortuit. Victimes des pensées superstitieuses et abandonnés par leurs familles, les 800 pensionnaires de Bouya Omar ont passé des années à chercher la «baraka» du mausolée pour se remettre de leurs maladies mentales ou tout simplement leur dépendance à la drogue. Enchaînes, violentés, affamés et laissés sans traitement adéquat, ils sont à la merci de leurs hôtes. Ces derniers s’enrichissaient en empochaient en moyenne 786 dirhams par mois pour chaque locataire. Ils s’emparaient même des sommes d’argent que les familles envoyaient, d’après ce que nous a révélé un acteur associatif de la région. Le coût annuel de l’hébergement s’élevait alors à 8 millions de dirhams. Cette manne a d’ailleurs donné naissance à des lobbys qui s’opposaient depuis toujours à la fermeture du mausolée.
Moyens importants
Mais des sources locales nous ont indiqué que les personnes atteintes de troubles psychiques réels ne constituent qu’une infime partie des pensionnaires. Le reste étant constitué de héroïnomanes venus essentiellement d’El Hoceima et Nador, dont une cinquantaine ont pris la fuite lors du premier jour de d’évacuation, pour se réfugier dans des fermes de la région. Le département de la Santé n’a pas fait dans la demimesure pour réussir cette opération. La capacité d’accueil des structures hospitalières de santé mentale a augmenté, de nouvelles unités hospitalières intégrées ont vu le jour, 34 médecins spécialistes en santé mentale et 122 infirmiers spécialisés ont été recrutés, en plus d’une enveloppe budgétaire de 40 millions de DH pour l’acquisition de médicaments et la mobilisation de 60 ambulances pour évacuer les malades de Bouya Omar vers les structures hospitalières spécialisées au niveau de leurs régions d’origine.
Le ministre affirme avoir soigneusement élaboré l’opération, qu’il avait présentée au Roi Mohammed VI en 2013. Le ministre justifie le retard de l’application par l’aménagement des structures d’hébergement pour les pensionnaires de Bouya Omar. En effet, jusqu’en 2014, le Maroc ne consacrait que 2.400 lits pour les malades mentaux.
Arrivé sur les lieux de l’opération, lundi 15 juin, M. El Ouardi a assuré qu’il veillera à assurer la prise en charge des malades au niveau de l’ensemble des hôpitaux du Royaume. Mais est-ce que le Maroc dispose d’assez de moyens pour accueillir les pensionnaires Bouya Omar? Dans tous les cas, les chiffres sont loin d’être encourageants.
Avenir incertain
Le nombre de psychiatres exerçant est extrêmement réduit. Moins de 0,83 psychiatres pour chaque 100.000 habitants. Etant le plus proche de Bouya Omar, l’hôpital psychiatrique régional Essaâda, dans la ville de Marrakech, a reçu une grande partie des pensionnaires évacués, vu que le service de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire Mohammed VI de Marrakech est saturé.
L’opération Al Karama s’inscrit dans le cadre du plan sectoriel 2012-2016 du ministère de la Sante, qui fait de la santé mentale une priorité. Mais le département d’El Ouardi doit alors accélérer sa mise en oeuvre, puisque les trois hôpitaux prévus dans le cadre de ce plan à Kalaât Sraghna, Agadir et Kénitra tardent à voir le jour.