Vétérinaire et militant reconnu des droits des consommateurs, Dr Bouazza Kherrati dénonce avec véhémence le projet de loi 22.20, qui est en contradiction avec les dispositions de la loi 31.08 de protection du consommateur, de son droit au choix, à l’information et à l’expression.
Vous avez suivi les péripéties de la diffusion d’extraits du projet de loi 22.20 relatif à l’utilisation des réseaux sociaux, des réseaux de diffusion et réseaux similaires, qui a suscité un tollé général. Quelle a été votre première impression?
C’est une grande surprise. Qu’un projet de loi de ce genre soit divulgué en ces temps de confinement, cette période très difficile pour le consommateur marocain, c’est une atteinte aux droits des consommateurs. D’abord, le fait d’interdire l’usage de ce moyen des réseaux sociaux pour dénoncer un produit ou un service, c’est une contradiction flagrante avec la loi 31.08 sur la protection des consommateurs.
En contradiction avec quelle disposition de cette loi 31.08?
La loi 31.08 donne au consommateur le droit au choix et le droit à l’information, droits indéniables et inaliénables. En tant que consommateur, j’ai le droit de choisir ou de ne pas choisir. De même, dans ce sens, la science, elle-même, est basée sur le doute. Le consommateur va être muselé pour ne pas se poser des questions sur la nature et l’innocuité d’un produit, ça bloque toute recherche. En plus, ça bloque le droit à l’information.
Ce projet de loi, si jamais il voit le jour, on peut dire que le gouvernement actuel est devenu autoritaire. Il se met dans les habits d’un dictateur pour museler les droits à l’expression libre. Bien entendu, chacun est responsable de ses actes. On peut lui demander la preuve de ce qu’il avance. Et d’ailleurs, dans la loi 31.08, la preuve est toujours apportée par le fournisseur et non pas par le consommateur. A mon avis, c’est une atteinte au statut auquel le Maroc est arrivé en termes de droits de l’Homme et en matière des droits des consommateurs.
Est-ce que vous êtes au courant que le projet de loi a été adopté par le gouvernement avant d’être confié à une commission technique pour revoir certaines de ses dispositions?
On ne sait où elle est, la vérité. Parce qu’il y a des déclarations et des contre-déclarations. Espérons qu’il y aura une intervention royale pour enterrer ce projet de loi, car cela me rappelle le temps de feu Hassan II, où le gouvernement voulait imposer une taxe sur les paraboles. Il y eut l’intervention royale pour arrêter cette décision irréfléchie pour un pays comme le Maroc qui est en avance en matière de libertés et de droits des consommateurs par rapport aux pays africains et même pour certains pays européens. Je crois que c’est un acte “salafiste” en matière de protection des droits des consommateurs.
Quand on apprend que ce projet de loi a été discuté au sein du gouvernement où figurent des formations connues pour avoir milité pour la liberté d’expression et d’opinion, quel est votre commentaire?
La question à se poser, d’où vient la proposition de ce projet de loi. Cela dire veut qu’il y a un département ministériel qui a élaboré et proposé ce texte. A savoir qui est ce département, parce que c’est lui le vrai responsable. Si c’est le département de M. Ben Abdelkader (la Justice), pourquoi M. Ramid, ministre d’Etat chargé des droits de l’Homme et des Libertés, intervient-il? Moi, je crois que certains ministres ont été interpellés par les lobbies affairistes.
Pensez-vous que des lobbies ont leurs empreintes sur ce projet de loi?
C’est notre lecture. Comme dans la criminalité, il y a toujours quelqu’un qui bénéficie du crime. Alors, qui bénéficie de ce texte de loi? Normalement, ce sont les lobbies d’affaires. “Taisez-vous, consommez et ne dites rien!” C’est une muselière pour faire taire la liberté d’expression et piétiner les droits des consommateurs.
En tant qu’association de protection des consommateurs, que comptez- vous faire?
Etant donné notre absence de certaines instances, nous sommes en train de préparer un communiqué pour dénoncer ce projet et nous allons user de toutes nos connaissances auprès des parlementaires et de certains départements pour nous opposer de manière ferme et catégorique à la promulgation de ce texte ou de tout autre texte, même revisité, qui comporte des dispositions qui réduisent ou anéantissent les droits à l’information, à l’expression et au choix des consommateurs.
En principe, au vu de l’approche participative de la Constitution, des acteurs de la société civile comme votre fédération ne sont-ils pas censés être impliqués dans l’élaboration d’un tel projet de loi?
Selon l’esprit de la nouvelle Constitution, c’est même obligatoire. Mais, malheureusement, certains départements passent outre ce droit. Par exemple, le département de l’Industrie et du Commerce nous associe à tout ce qui se rapporte aux droits des consommateurs. Certains départements, qui croient tout savoir, préparent seuls leur texte, qui va parfois à l’encontre des intérêts des professionnels. Je vous donne l’exemple du texte d’application de la loi 28.07 sur l’étiquetage, qui est passée une année et demie après la date prévue pour sa promulgation.
Etant donné que les associations de protection des consommateurs ne sont pas représentées au niveau des chambres de commerce et d’industrie, des conseils des différents départements ministériels, la voie est libre pour l’élaboration de tels textes de loi. Le projet de loi 22.20 est un texte de la honte.