Benkirane a-t-il échoué?

Abdelilah Benkirane, lors du lancement du rapport diagnostique de croissance. Abdelilah
Benkirane, lors du
lancement du rapport
diagnostique
de croissance.

La présentation, le 27 février 2015 dans la capitale, Rabat, du rapport de la Banque africaine de développement (BAD) sur le “diagnostic de croissance: pour une croissance large et inclusive au Maroc” a été l’occasion pour Abdelilah Benkirane de livrer son analyse sur cette fameuse croissance économique nationale. S’il se plie aux conclusions de la BAD, laquelle égratigne l’Exécutif, sur le plan du climat des affaires mais également en matière de gouvernance, le chef du gouvernement n’en manque pas moins d’apporter son propre éclairage sur la question. Il commence d’abord par répondre, là encore en prenant des gants, au point des équilibres macroéconomiques et explique que grâce notamment à la réforme de la Caisse de compensation, le Maroc aurait économisé 23 milliards de dirhams (MMDH) depuis l’investiture de son gouvernement en 2012.
En outre, en termes d’entrepreneuriat, mais également sur les chantiers concomitants fiscal, juridique et foncier, de même qu’en relation avec le marché du travail, l’équipe gouvernementale aurait, aux dires de M. Benkirane, concrétisé en trois ans ce qu’il aurait été nécessaire d’implémenter en quinze années d’exercice en temps normal.

Un fin communicant
Il reconnaît cependant des failles –le vocable n’émane jamais de lui– si ce n’est peut-être des faillites à proprement parler dans le “modus operandi” de la majorité gouvernementale, il tance ce qu’il appelle les «puissants», et plus vertement encore, les «parasites» (en langue française dans le texte). Ceux-là même qui, plus que d’autres dans son propos, seraient responsables de la présente situation de la croissance et, plus généralement, de l’état du pays. De qui s’agit-il? Et, surtout, pourquoi une telle apostrophe à cet instant précis de son mandat?
La question mériterait en effet d’être posée. On le sait, derrière le chef de gouvernement, se cache un fin communicant dont les attaques, démultipliées ces dernières semaines principalement vis-à-vis de l’opposition et de sa cible favorite, le Parti authenticité et modernité (PAM) (voir MHI n°1107, du 27 février au 5 mars 2015), en cette année 2015 où s’annoncent pour septembre les élections communales, ne tombent jamais fortuitement. Celles à l’encontre des «puissants» et des «parasites» -faisant écho aux «crocodiles» et «démons», qu’il s’engageait devant les Marocains, quelques mois après son investiture, à pousser jusqu’à leurs derniers retranchements- procèdent de la même veine.

Les ambitions et les moyens
S’agit-il pour autant nécessairement de la même rhétorique, c’est-à-dire entre le moment de son investiture et aujourd’hui plus de trois ans plus tard? L’on est en droit d’en douter, d’autant que le Benkirane secrétaire général du Parti de la justice et développement (PJD), principal parti de la majorité, semble s’être peu à peu mué en Benkirane chef du gouvernement, héraut, au grand regret de nombreux de ses (anciens) partisans, de la raison d’Etat; en un mot, comme le titrait Maroc Hebdo en 2013, il s’est «makhzénizé».

Dans cette perspective, l’attaque de M. Benkirane lors de la présentation du rapport de la BAD semble résonner, malgré des intentions déclarées contraires, plus comme un aveu d’échec qu’une volonté de s’opposer au “fassad”, mot de langue arabe s’inspirant du référentiel religieux musulman et charriant un ensemble de pratiques de mal-gouvernance, l’économie de rente notamment, et que la formation de la lampe promettait d’éradiquer une fois au gouvernement. Il faut rappeler à ce titre que M. Benkirane reconnaissait en janvier 2015, lors de son passage à la Chambre des Représentants, chambre basse du parlement, qu’il avait échoué «partiellement» à en finir avec la corruption.

L’échec ne s’est cependant pas arrêté à ce domaine; mais il faut reconnaître que le PJD n’a jamais eu les moyens de ses ambitions. Le parti islamiste ne bénéficiant que d’une majorité relative au parlement, loin, avec 107 sièges uniquement, de la majorité absolue (198 sièges). Pis, la sortie du gouvernement en 2013 du Parti de l’Istiqlal (PI), jusqu’alors dans la majorité, avait sensiblement affaibli les positions du PJD, qui, devant le risque de renoncer à l’Exécutif, avait concédé certains départements stratégiques tels l’Education nationale (Rachid Belmokhtar) et les Affaires étrangères (Salaheddine Mezouar) à des personnalités qui sont loin de lui être acquises. Cela étant, la formation n’a pas été exempte de cet “attentisme”, notamment lors de l’affaire Mohamed Ouzzine, du nom de l’ancien ministre de la Jeunesse et des Sports “démissionné” en janvier 2015 du fait de sa responsabilité politique et administrative directe dans des dysfonctionnements lors de la Coupe du monde des clubs de football organisée en décembre 2014; le gouvernement ne prenant aucune initiative avant l’entrée en jeu du Roi. Idem plus récemment lors de la vague de froid ayant touché le pays, où ce n’est qu’après les “instructions royales” que les services de l’Intérieur et de la Santé ont été mobilisés.

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