Benabdallah refuse de lâcher du lest

Désaccords sur la gestion gouvernementale de la hausse des prix


Visé par le PPS par rapport à sa gestion de la hausse des prix, le chef du gouvernement a préféré laisser le soi à son parti du RNI de réagir. Mais le secrétaire général de la formation du livre persiste et signe.

Le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, l’a clairement mauvaise. Les critiques portées à son encontre par le Parti du progrès et du socialisme (PPS) ne sont pas passées. Dans une lettre ouverte que son bureau politique lui avait adressé le 30 mars 2023, le parti du livre avait “not[é] avec une grande inquiétude la légèreté qui caractérise” selon lui “la gestion, indifférente et irresponsable, par [son] gouvernement de” ce qu’il a qualifié de “flambée exorbitante et insupportable des prix des produits alimentaires et de consommation”.

De même, il avait “condamn[é]” ce qu’il considère comme étant du “silence” et de “l’inaction” de la part de l’Exécutif à ce niveau. Trois jours plus tard, le bureau politique du parti de M. Akhannouch, à savoir le Rassemblement national des indépendants (RNI), s’est fendu d’un communiqué de cinq pages pour y répondre. Une voie choisie délibérément dans la mesure où il a été jugé que “la lettre n’a pas été adressée au chef du gouvernement par les voies constitutionnelles”.

Injustice flagrante
Cette “méthode”, le RNI en a d’ailleurs questionné le fondement même, la taxant carrément d’“hérésie”. À ses yeux, elle serait, ainsi, d’autant plus “incompréhensible” que M. Akhannouch aurait “exprimé plus d’une fois l’ouverture de la majorité et du gouvernement à toutes les tendances politiques, qu’elles soient d’opposition ou de la majorité, et qu’il s’était même déjà réuni auparavant avec tous les partis d’opposition”.

Et il a par la suite égrené toutes les mesures “sociales” prises par le gouvernement depuis son investiture en octobre 2021, de l’allocation de “budgets importants pour soutenir le pouvoir d’achat” en passant par “l’institutionnalisation du dialogue social et la résolution des dossiers sociaux en suspens depuis des années”. “C’est une injustice flagrante que certains nient ce que le gouvernement a fait en un an et demi depuis son investiture,” a fustigé le RNI. Sauf que du côté du PPS, cette sortie n’a pas vraiment convaincu. Pour lui, elle n’en constitue même pas une. “J’ai tout lu et relu avant de vous répondre, il n’y a absolument pas de fond,” réagit son secrétaire général, Mohamed Nabil Benabdallah, que nous avons joint au téléphone.

En effet, ce dernier nous indique que le PPS a, en dernière analyse, interpellé le gouvernement sur la question du pouvoir d’achat des citoyens, qui, en raison de l’inflation actuelle -10,1%, selon les derniers chiffres du Haut-Commissariat au plan (HCP)-, s’est vu grandement érodé, pas sur son bilan général. Et qu’au lieu de repasser le film des dix-huit derniers mois, il aurait été plus indiqué d’expliquer ce qui a été fait concrètement pour sauvegarder ce pouvoir d’achat à la lumière de la crise en cours.


Rendre des comptes
Or, le hic serait que le gouvernement n’aurait tout bonnement rien de quoi se prévaloir, et que le communiqué ne constituerait, in fine, qu’une fuite en avant de sa part. Ce qui, selon M. Benabdallah, aurait pu être mis en oeuvre, et c’est cela que développait justement la lettre ouverte du PPS, c’est notamment de plafonner temporairement les prix des produits qui connaissent une forte hausse. Ainsi, rappelle notre interlocuteur, la loi sur la liberté des prix et de la concurrence, promulguée en juin 2000 par le roi Mohammed VI, le permet. Dans le même sens, le marché national aurait également dû faire l’objet d’un contrôle plus strict, et ce en ciblant plus directement les intermédiaires qui continueraient de spéculer sur les produits sur le dos des citoyens. Quand, par exemple, le ministre de l’Agriculture, Mohamed Sadiki, se rendait le 14 février 2023 au marché de gros d’Inezgane pour une visite de terrain, cela n’était, d’après lui, “que du cinéma”, car un petit commerçant qui achèterait les tomates à 13 dirhams le kilo et les revendrait à 14 dirhams resterait, quoi qu’il en soit, dans son droit.

En outre, M. Benabdallah insiste que le gouvernement devra rendre des comptes par rapport aux 5 milliards de dirhams (MMDH) “balancés” -c’est son propre mot- aux transporteurs, sans qu’en aval cela n’ait été ressenti au niveau de l’indice des prix à la consommation (IPC). Il met aussi en cause M. Akhannouch pour ne pas avoir tenu parole en ce qui concerne les aides directes, puisqu’il s’était effectivement engagé à octroyer, dès 2022, 400 dirhams par mois aux plus nécessiteux, avant de monter progressivement jusqu’à 1.000 dirhams à la fin de son mandat.

A cet égard, M. Benabdallah croit que le gouvernement aurait très bien pu puiser dans les 50 MMDH que l’État aurait, selon les calculs du PPS, engrangé grâce à la hausse des prix par le biais des taxes pour distribuer des “chèques-Ramadan” de 2.000 à 2.500 dirhams. Et dans ce même cadre, il se demande pourquoi sur certains produits la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et la nouvelle taxe intérieure sur la consommation (TIC), instituée par la loi des finances 2023, n’ont pas été totalement ou, au moins, partiellement supprimées. “Ils ont toujours un train de plusieurs semaines de retard,” fustige M. Benabdallah.

Et au gré de notre échange avec lui, ce dernier en vient, enfin, à des accusations de conflit d’intérêt à l’égard de M. Akhannouch: sur le volet des marchés des carburants, où la holding Akwa Group, que détient le chef du gouvernement, dispose de 25% des parts de marchés; mais aussi sur le Plan Maroc vert (PMV) et Génération Green, qui lui sont dû directement du temps où il dirigeait le ministère de l’Agriculture et dont les choix de fond avaient par ailleurs été critiqués par le haut-commissaire au plan, Ahmed Lahlimi, en ce qu’ils jouent un rôle majeur dans l’aggravation structurelle de la spirale inflationniste (lire n° 1480, du 31 mars au 6 avril 2023).

M. Benabdallah rejette, toutefois, tout sentiment d’animosité en lui; au contraire, il assure continuer à tenir en estime la personne de M. Akhannouch. “Nous sommes dans notre rôle politique de parti d’opposition, c’est tout, et c’est d’ailleurs désolant qu’il ne l’accepte pas,” regrette-t-il, en ajoutant que ce qui le préoccupe à titre personnel, et cela “à l’instar de beaucoup de citoyens”, c’était la stabilité du Maroc qui, au vu de la situation actuelle, se trouverait menacée. Il ne souhaiterait même pas voir le gouvernement tomber, car dans ce cas, il serait passé par un autre moyen autrement frontal, à savoir une motion de censure à la chambre des représentants.

Pour notre part, nous avons cherché à contacter l’entourage de M. Akhannouch afin de lui donner une parole égale et lui donner l’occasion de répondre, mais notre demande est restée sans suite. Selon nos informations, le concerné aurait toutefois confié à certains de ses proches collaborateurs qu’il se sentait la cible d’un tir groupé, du fait que la lettre ouverte du PPS a été rendue publique pratiquement dans la même semaine que M. Lahlimi s’inscrivait en faux contre la politique agricole nationale mais aussi le choix de Bank Al-Maghrib (BAM) d’augmenter de 50 points de base, le 21 mars 2023, le taux directeur, désormais de 3%. Rien de cela ne le pousserait en revanche à rebattre ses cartes. “Nous maintenons et poursuivrons notre action sur sa lancée,” avait-il déclaré le 23 mars 2023 au journal électronique “Médias24”.

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