BEN SALMANE PRIS À SON PROPRE JEU

LE COVID-19 ET LA CHUTE DU BARIL DU PÉTROLE MENACENT L'ÉCONOMIE SAOUDIENNE

D’aucuns regrettent le temps de l’ancienne génération saoudienne, plus soucieuse des équilibres internationaux et notamment régionaux.

Quoi de pire pour une économie que le Covid- 19? Dans le cas d’un pays tirant une part non négligeable de ses revenus du pétrole, on pourrait y ajouter la chute enregistrée par le prix du baril à l’international, qui a même atteint son plus bas historique dans la journée du 20 avril (à -38,94 dollars à New York!). La peine est même triple pour l’Arabie saoudite, qui en plus doit renoncer à la contribution budgétaire de la Omra, tout bonnement suspendue depuis le 27 février, en attendant que suive le Hajj, dont l’annulation est dit-on dans le pipe. C’est peu dire, donc, que le pays du Golfe traverse sa crise la plus grave de son histoire quasi nonagénaire -Ibn Saoud a fondé l’Etat saoudien moderne en 1932.

Et pour le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane en particulier, qui est le véritable tenant du pouvoir à Riyad depuis l’accession de son père, Salmane, au trône en janvier 2015, les choses sont encore plus corsées. Car il faut rappeler qu’il assume une partie de la responsabilité de la déstabilisation du marché pétrolier, suite à sa décision de se lancer dans une guerre des prix avec la Russie, qui avait fait le choix de faire couler à flot son pétrole pour faire chuter le cours du baril et ainsi ne plus permettre aux producteurs américains d’en être pour leurs frais, dans la mesure où l’extraction du pétrole de schiste investi par ces derniers nécessite davantage d’argent -environ 25 dollars par baril pour être rentable, contre seulement 3 dollars par exemple pour le pétrole “normal” saoudien.

Matelas de devises
Le journal électronique Middle East Eye s’est même fait l’écho d’un échange téléphonique houleux, en date du 6 mars, entre celui que l’on surnomme “MBS” et le président russe Vladimir Poutine. Ce n’est que suite à l’intermédiation personnelle de Donald Trump que Riyad et Moscou, en y ajoutant les pays de l’OPEP, avaient finalement convenu le 12 avril d’accorder leurs violons; insuffisant toutefois, donc, pour prévenir l’effondrement des cours. Et si ben Salmane peut toujours se targuer de l’appui du locataire de la Maison-Blanche, qui l’avait même qualifié d’“ami” sur Twitter le 2 avril en dépit des ravages de son conflit avec M. Poutine sur le secteur pétrolier de son pays, il en va autrement du reste de la classe politique américaine, qui par la voix de certains sénateurs l’a même menacé de représailles.

“Ce genre d’actions ne s’oublie pas facilement,” lâchait, très remonté, le 11 avril le sénateur républicain du Dakota du Nord, Kevin Cramer, suite à des entretiens de plus de deux heures avec le ministre de l’Energie saoudien, Abdelaziz ben Salmane. En tout état de cause, les cours du pétrole finiront bien, sauf catastrophe nucléaire, par remonter, et l’Arabie saoudite peut d’autant plus compter sur le matelas de devises accumulé depuis le choc pétrolier d’octobre 1973 -quelque 500 milliards de dollars valeur aujourd’hui-; néanmoins les choix diplomatiques de ben Salmane sont plus que jamais en question.

Déjà dans l’oeil du cyclone en raison de la crise humanitaire provoquée par sa guerre contre les Houthis au Yémen et surtout suite à l’affaire de l’assassinat par ses services, en octobre 2018, du journaliste et opposant Jamal Khashoggi, la figure du dynaste saoudien n’a de cesse d’alimenter la controverse, et d’aucuns regrettent le temps de l’ancienne génération, plus soucieuse des équilibres internationaux et notamment régionaux: malgré des différends autrement profonds, l’Arabie saoudite n’était jamais allée par exemple jusqu’à décréter un blocus du Qatar comme celui en cours depuis le 4 juin 2017.

Neutralité constructive
Selon le bruit qui court, ben Salmane projette même de faire de son voisin qatari une île en faisant creuser alentour un canal. Le Maroc sait aussi quelque chose de la nouvelle façon de faire à Riyad, lui qui avait justement préféré adopter dans le conflit de cette dernière avec le Qatar une position de “neutralité constructive” et qui se le voit depuis lors reprocher par le truchement notamment d’attaques médiatiques de la chaîne saoudienne Al-Arabiya: cette dernière dépeignait, dans récent reportage, le Royaume comme un pays en guerre contre le Covid-19, après avoir une année plus tôt commis une séquence similaire prenant fait et cause pour le Polisario.

Pour rappel, l’animosité de l’Arabie saoudite en était arrivée à un point tel à l’égard du Maroc que les officiels saoudiens avaient décaissé de leur propre poche au cours de l’année 2018 pour le priver de l’organisation de la Coupe du monde de football de 2026 au profit du Canada, des Etats-Unis et du Mexique. En termes de solidarité “arabe”, on aura certainement connu mieux...

Articles similaires