Bank Al maghrib maintient le taux directeur inchangé à 3%

Abdellatif Jouahri tape encore sur la table


La banque centrale observe une pause dans le processus de redressement de la politique monétaire. Pour cause, le secteur bancaire ne suit pas.

Les opérateurs économiques et les financiers retenaient leur souffle avant le point de presse, mardi 20 juin 2023, de Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al Maghrib. Ils attendaient du capitaine de la politique monétaire une pause dans le cycle de hausse du taux directeur. Leur voeu a été exhaussé. En effet, M. Jouahri, a noté qu’il maintient inchangé le taux directeur à 3%. C’est le taux du loyer de l’argent accordé aux banques commerciales, qui constitue pour ces dernières un taux plancher pour l’établissement de leurs taux de crédits aux particuliers comme aux entreprises. Il a expliqué à cet égard qu’après un taux de 6,6% en 2022, l’inflation a continué de s’accélérer pour atteindre un pic de 10,1% en février 2023. Depuis, elle s’est inscrite en décélération mais reste à des niveaux élevés en lien avec le renchérissement des produits alimentaires frais, revenant à 8,2% en mars, à 7,8% en avril puis à 7,1% en mai.

Marquer une pause
Au regard de ces évolutions et en prenant en compte les délais de transmission de ses décisions à l’économie réelle, le Conseil de la banque centrale a décidé, après trois hausses successives du taux directeur d’un total de 150 points de base, de marquer une pause dans le cycle de resserrement de la politique monétaire. « Nous cherchons auprès des experts et professionnels quelles sont leurs anticipations de l’inflation. Car la difficulté n’est pas de dire que l’on prend la décision ou pas. La difficulté est d’éviter le désancrage des anticipations d’inflation. Cela veut dire que si vous laissez les choses se faire et que les prix augmentent, il sera plus dur de les ramener à des niveaux acceptables que si vous avez été proactifs sur le sujet », a expliqué Abdellatif Jouahri. « Nous avons augmenté notre taux directeur de 150 points de base, mais pour savoir quelles seront les répercussions sur l’économie réelle, nous avons deux indices. L’évolution des taux débiteurs qui n’ont pas été totalement répercutés. Nous continuons de suivre cela.

Deuxièmement, nous analysons l’offre et la demande de crédit. Nous voyons si cette dernière baisse ou non, qui cela touche, particuliers ou entreprises... La meilleure manière de conduire les choses, c’est celle-là. Celui qui a la responsabilité de cette mission la remplit au mieux et le gouvernement, au titre de ce qu’il doit apporter sur le plan budgétaire, l’apporte », tranche-t-il. La dernière hausse du taux directeur de 2,5 à 3%, décidée lors de la dernière réunion trimestrielle du Conseil de bank Al Maghrib, le 21 mars, a désenchanté nombre d’opérateurs économiques et a créé une certaine mésentente avec le chef de gouvernement, Aziz Akhannouch. Aujourd’hui, M. Jouahri, connu pour son franc parler et ses décisions courageuses, se rend à l’évidence que les taux appliqués par les banques n’ont pas évolué dans le bon sens, concomitamment avec sa décision de revoir à la hausse le taux directeur. En d’autres termes, les banques n’ont pas suivi ou peut-être n’étaient pas d’accord avec la décision de Jouahri car l’offre et la demande de crédits a baissé.


Ingérence du gouvernement
C’est un fin connaisseur de la politique monétaire, qui jouit de la confiance de S.M. le Roi Mohammed VI, et il en fait un moyen d’aide à la stabilité des prix. Le hic, c’est que malgré les dernières décisions, la hausse des prix et l’inflation se sont inscrits dans une courbe ascendante. Quand M. Jouahri parle d’inflation, il entend « Inflation sous-jacente », un indicateur macro-économique établi par le Haut-Commissariat au Plan, sur la base d’un panier de plus de 320 produits et biens. Sauf que les produits dont les prix sont volatils ne font pas partie de ce panier.

Ce qui ne peut pas renseigner sur le niveau de vie de la plus grande frange de la population qui souffre dans le silence de la cherté de la vie. Aussi, les économistes savent que quand on opte pour l’inflation sous-jacente, on l’équilibre par le système de subvention des denrées les plus consommées. Or, le gouvernement va dans le sens contraire et prépare un désengagement des quelques produits encore subventionnés comme le gaz butane, le sucre et la farine. Au sujet de l’ingérence du gouvernement dans sa politique monétaire, M. Jouahri a tout nié en bloc. « Pour revenir sur ces bruits autour de l’ingérence ou de l’influence du gouvernement dans la politique monétaire, il faut être clair. L’ingérence a été réglée dans les statuts de BAM.

C’est un Dahir et son article 13. Mon devoir est de faire respecter les dispositions de ce texte qui stipule que la Banque centrale, dans l’exercice de sa mission, ne doit ni accepter, ni solliciter des instructions de la part du gouvernement ou de parties tierces», a-t-il riposté. Et il ne s’est pas arrêté à ce stade pour signifier qu’aucune partie extérieure, même pas le gouvernement, n’est à même de prendre la décision à sa place. « Nous estimons que nous sommes les mieux outillés pour disposer des instruments, des compétences, et des relations avec les banques centrales extérieures, pour prendre des décisions.

Nous avons des modèles qui courent sur le court, moyen et long terme et qui nous permettent de prendre des décisions. Ce n’est pas facile. Nous sommes dans un domaine où la science est inexacte. Il faut faire preuve d’humilité et de modestie et essayer d’analyser de la manière la plus rigoureuse possible pour prendre la décision et pouvoir dire que cette décision est la bonne ou la moins mauvaise à prendre », a-t-il martelé. Tout compte fait, s’il y a quelque chose à retenir de cette réunion trimestrielle de Bank Al Maghrib, en dehors du taux directeur qui demeure inchangé, c’est que quand bien même la banque centrale est seule maître à bord en matière de politique monétaire, la politique finit par trouver un moyen d’influencer les opérateurs économiques et le secteur bancaire. C’est Abdellatif Jouahri, en personne, qui le signifie clairement. Les incidences souhaitées de ses dernières décisions sur l’économie réelle ne sont pas encore perceptibles. Mais jusqu’à quand la « pause » ou la « trêve » du Wali de Bank Al Maghrib durera ?.

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