Une balkanisation inévitable de la carte politique

ELECTIONS ET NOUVEAU QUOTIENT ÉLECTORAL

Le rendez-vous électoral 2021 devra être celui de la rupture. L’une des facettes de celle-ci est de remonter la pente par rapport au taux d’abstention qui a marqué les deux élections de 2011 et 2016. Le risque est que le nouveau quotient électoral affecte davantage la confiance dans la chose politique et les élections.

Plus que quelques jours avant le rendez- vous électoral du 8 septembre 2021. Les élections législatives, locales et régionales se distinguent cette année par l’application de nouvelles réformes, dont, principalement, le quotient électoral. La nouveauté, c’est que le calcul du quotient électoral se base désormais sur le nombre des inscrits aux listes électorales. Dans la pratique, le nouveau quotient consiste à diviser le nombre des votes pour chaque parti sur le nombre total des citoyens inscrits sur les listes électorales.

De ce fait, il diminue inéluctablement les chances des «grands partis» d’obtenir plus d’un siège dans une même circonscription. Cette méthode a été jugée anti-démocratique par le PJD, tout au long de la phase des négociations autour des propositions d’amendements, mais aucun autre parti politique ne s’est aligné sur son rejet de cette réforme.

Concrètement, et à titre d’exemple, supposons que le nombre des inscrits dans une circonscription donnée est de 200.000 personnes et que le nombre de sièges en jeu est cinq. Le quotient électoral sera donc: 40.000 (200.000/5). Le premier parti politique rafle 42.000 voix, le deuxième 18.000 voix, le troisième 13.000, le quatrième 10.000 et le cinquième 8000 voix. Le parti vainqueur obtient, via cette méthode de calcul du nouveau quotient électoral, un seul siège au lieu de deux. Les 4 autres partis, qui n’ont pas atteint le quotient électoral, et sur la base de la méthode du «plus fort reste», obtiendront chacun 1 siège.

Une atteinte à la transition démocratique
Les 5 partis politiques vont ainsi représenter cette circonscription avec un siège chacun, sachant que celui qui n’a reçu que 8.000 voix a le même nombre de sièges que celui qui en a reçu 4 fois plus. Cette incohérence fait sortir une carte politique balkanisée et qui affaiblit les grands partis et renforce en même temps les «petits partis», qui auront toujours leur mot à dire que ce soit au sein de la majorité gouvernementale ou de l’opposition.

Pour certains, cette méthode vise à combattre le fait qu’il ressort des élections un parti politique prédominant, c’est-à-dire un parti qui domine la scène politique. Le PJD, arrivé en tête lors des deux dernières élections législatives, est le parti qui en sera le plus lésé. Avec l’application de l’ancien quotient électoral, il y avait un grand écart entre le premier, le deuxième ou le troisième parti. Avec le nouveau quotient, il est impossible qu’un parti politique ait deux sièges par arrondissement. Dans tous les cas, aucun parti n’aura plus de 80 sièges. Une chose est sûre, il ne faut pas s’attendre à des surprises. Cette balkanisation de la scène politique a un revers encore plus dangereux.

L’adoption du nouveau quotient électoral rendra difficile la détermination de la responsabilité et la reddition des comptes. Toute débâcle sera assumée à parts égales entre tous les partis politiques, chose qui porte atteinte à la transition démocratique dans laquelle le pays est engagé. Car au final, les élections servent aux citoyens pour choisir un parti qui assume ses responsabilités et des décideurs qui leur sont redevables. Si le citoyen est censé évaluer les réalisations de chaque parti pour pouvoir rectifier le tir lors des prochaines élections, cette méthode nouvelle ne le lui permettra pas. Les électeurs votent pour un parti par conviction ou par sympathie, mais leur choix sera aussi porté sur un autre parti qui a récolté très peu de voix.

Cette réalité interpelle sur l’importance même du vote et de la campagne électorale pour laquelle des sommes mirobolantes d’argent (argent du contribuable) sont dépensées. Ce qui va encourager, ipso facto, l’absentéisme, notamment chez les électeurs les plus avertis. Et pourtant, ce rendez-vous électoral est censé être ou devra être celui de la rupture. L’une des facettes de cette rupture est de remonter la pente par rapport à un taux de participation faible qui a marqué les deux précédentes élections de 2011 et de 2016. Et, quoi qu’on en dise, il existe toujours une grande désaffection des Marocains vis-à-vis de la chose partisane et des urnes et une défiance justifiée par la faiblesse des acteurs politiques et leur manque de courage ou d’audace dans la prise des décisions stratégiques, voire même des décisions judicieuses pour le pays.

Une grande désaffection
Ce qui inquiète, par-dessus tout, c’est de revivre le même scénario de 2011 et de 2016. Les élections législatives du 25 novembre 2011 ont connu un taux de participation de 45,4%. Ce taux était inférieur à celui des élections locales de 2009 (52,4%). Pire, il est le deuxième taux de participation le plus faible aux élections législatives depuis 1984 (67% en 1984, 62% en 1993, 58% en 1997, 50% en 2002), après celui de 2007 (37%). Le résultat de ces élections avait montré que l’abstention a connu des fluctuations notoires entre les provinces. Ainsi, le plus haut taux de participation (Tarfaya) est de 78,2% alors que le plus faible (Safi) est de 33,3% soit un écart de 44,9 points. Aux élections législatives du 7 octobre 2016, sur plus de 15 millions d’inscrits, seuls 43% se sont rendus aux urnes, ce qui était révélateur d’un intérêt des Marocains pour ces élections qui diminue encore et encore.

Une perception qui a été confirmée par l’enquête réalisée par le Haut-Commissariat au plan (HCP) en septembre 2018. Il en ressort que seulement 5% des jeunes Marocains ont confiance dans l’action et les partis politiques, tandis que 70% d’entre eux se désintéressent complètement de ce champ. L’abstention est devenue ainsi donc une caractéristique indélébile des rendez-vous électoraux.

Les partis politiques ne fournissent pas assez d’efforts pour restaurer la confiance des électeurs. Majorité comme opposition, ils ont brillé par leur paresse et leur réaction face à une situation socio- économique inextricable et sans précédent liée à la crise sanitaire du Covid-19 et la crise économique qui en a découlé. Et le nouveau quotient électoral ne va rien arranger au statu quo.

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