Au moment où la traçabilité de l’argent est devenue une priorité, il y a bien matière à s’interroger sur cette énorme bulle qui laisse sur le carreau un millier de victimes.
Encore! Encore donc un scandale immobilier! Et quel scandale que celui du groupe Bab Darna, qui vient d’éclater ces dernières semaines et qui ne fait sans doute que commencer. De quoi s’agit-il? D’un programme conçu pratiquement comme une vaste escroquerie nationale et qui a fait des victimes et des dégâts gravissimes. Songes qu’un bon millier de réservataires de logements- villas, appartements et même certains d’entre eux économiques, ont été trompés, grugés par un personnage central placé sous les verrous depuis une dizaine de jours. Il n’était pas seul; cinq autres personnes ont également été placées en détention préventive; ils relèvent du cercle de ses proches, les uns de sa famille et les autres de ses activités professionnelles.
Naturellement, il faut laisser la justice faire son travail en toute sérénité et en toute indépendance. On veut croire, une fois de plus, que ces deux principes vont prévaloir et qu’un procès équitable pourra se tenir le moment venu. Mais pour l’heure, comment évacuer cette interrogation de principe: comment en est-on arrivé là? D’une autre manière, pourquoi de tels méfaits continuent-ils à se répéter, celui de Bab Darna en étant l’expression la plus éclatante et la plus grandiose, si l’on ose dire? Faut-il donc de nouveau se résigner et subir les pesanteurs et peut-être même les contraintes d’une sorte de fatalité qui veut que l’on n’a plus tellement l’espoir que tout cela allait changer; qu’il faut croire que l’on finira bien par contenir et réduire à terme de telles transgressions de la loi et de la réglementation; et que finalement un processus de «normalisation» et de moralisation aura le dernier mot face à tant de pratiques malsaines qui minent le lien social et font douter sérieusement de l’effectivité de la légalité. C’est une longue chaine de dysfonctionnements de toutes sortes qui est en cause. Voilà en effet un «promoteur», sorti d’on ne sait trop quel périmètre clair-obscur, qui s’est lancé dans ce secteur. Il a été tapageur, tonitruent, avec une campagne de communication particulièrement agressive -panneaux urbains, presse écrite et surtout un spot publicitaire à la télévision. Il promettait tout et n’importe quoi: des prix très en-deçà de ceux du marché et même le slogan alléchant: «Un appartement gratuit pour deux achetés». Et tant d’autres choses aussi...
Personne n’y a trouvé à redire. Ni la Fédération nationale des prometteurs immobiliers mise sur pied depuis près d’une quinzaine d’années -pourtant, on l’a vue plus réactive et plus sourcilleuse dans plusieurs cas où des projets ont été qualifiés par ses soins de «fantômes». Ni le ministère de l’Habitat, qui a agréé le groupe Bab Darna pour participer aux salons SMAP Immo à Paris, Bruxelles et Montréal. Ni les collectivités locales où étaient situés les projets immobiliers, ni les agences urbaines, ni les services des impôts n’ont assuré leur mission et leur contrôle alors que lesdits projets étaient surmédiatisés à coups de «pub». Tout le monde parait avoir veillé à regarder ailleurs comme si un consensus étrange et coupable était devenu la posture de tout le monde. Des centaines de logements ont été commercialisés et vendus sur des terrains dont le promoteur n’avait pas la propriété -une simple consultation à la Conservation foncière pour la modique somme de cent dirhams aurait permis de faire éclater le scandale. Quelque 400 millions de dirhams ramassés dans cette affaire au titre d’acomptes ou de paiement total auraient pu aussi alerter les banques concernées sur d’importants dépôts et mouvements de fonds d’un opérateur de ce profil-là.
Au moment où la traçabilité de l’argent est devenue une priorité, il y a bien matière à s’interroger sur cette énorme bulle Bab Darna qui laisse sur le carreau, dépouillés, un millier d’acquéreurs devenus... virtuels et qui se trouvent plongés dans le drame de leur vie. Enfin ceci, et ce n’est pas le moins préoccupant: quel message donne-t-on quant à l’attractivité du climat d’affaires et à la sécurité juridique de l’investissement? Contre productif bien sûr. Affligeant aussi