Les internautes dénoncent, sans filtres et sans médiation, la cherté de la vie, le monopole exercé par certaines entreprises, accusent Akhannouch de profiter de la crise économique mondiale à travers sa société Afriquia.
Approchant le million de partages sur Facebook et les autres réseaux sociaux, le hashtag #dégage_ Akhannouch règne sur la tendance du web marocain. Les internautes dénoncent, sans filtres et sans médiation, la cherté de la vie, le monopole exercé par certaines entreprises, accusent Akhannouch de profiter de la crise économique mondiale à travers sa société de distribution d’hydrocarbures, Afriquia, et exigent une révision, à la baisse, des prix.
A #7dh_gazoil #8dh_essence
Le hashtag contre le Chef du gouvernement est suivi par les hashtags #7dh_gazoil et #8dh_essence pour appeler à revoir les prix des carburants. En effet, selon le benchmark de la plateforme Global Petrol Prices, le Maroc se classe, au niveau des pays arabes, au premier rang en termes de cherté des prix pour le gasoil et deuxième pour le prix moyen de l’essence, qui atteint 17,78 dirhams le litre. Le Maroc est d’ailleurs le premier en Afrique du Nord au niveau de la cherté selon la plateforme. La même source a expliqué que «les différences de prix entre pays existent à cause de diverses taxes et subventions» sur l’essence et le diesel, précisant que «tous les pays ont accès aux mêmes prix sur les marchés internationaux, mais ils imposent des taxes différents».
Youness Masskine, journaliste, explique le recours des marocains aux réseaux sociaux, nouvel espace propice à la réalisation de leur liberté d’expression et donc de la citoyenneté, par 3 points essentiels. D’abord, «La grande efficacité atteinte par ce type de protestation, c’està- dire la large diffusion des revendications et le sentiment du citoyen de pouvoir influencer et contribuer à cette campagne directement et sans médiation».
Ensuite, «La peur des conséquences que pourrait avoir la contestation sur le terrain» ou encore «la grande prise de conscience des citoyens du danger que les protestations sur le terrain peuvent dévier de leur cours et se transformer en chaos», nous annonce M. Masskine en précisant que «cela reflète le grand sens civique du citoyen marocain, et son souci de pratiquer la protestation sans tomber dans les scénarios de chaos dont il a été le témoin dans le voisinage régional». Toutefois, cette grande mobilisation sur les réseaux sociaux contre le Chef du gouvernement et son entreprise Afriquia est pour certains une campagne manipulée.
Une campagne populaire ou manipulée ?
Sur son compte Twitter, Marc Owen Jones, professeur adjoint d’études du Moyen-Orient et d’humanités numériques à l’Université Hamad ben Khaalifa de Doha a fait une analyse sur le tweet #dégage_Akhannouch. Le chercheur affirme avoir analysé près de 19.000 tweets entre le 14 et le 16 juillet 2022 et souligne que derrière la plupart d’entre eux se cachent des «faux comptes». «L’examen des quelque 10.000 comptes uniques révèle qu’entre l’année 2008 et le 16 juillet 2022, 522 comptes liés à la personne d’Akhannouch ont été créés».
Par ailleurs, le chercheur note que durant la journée du 15 juillet seulement, 796 comptes supplémentaires ont été créés alors que la moyenne mensuelle est de 59 comptes! Le chercheur précise qu’une analyse approfondie de ces 522 comptes démontre que 98% d’entre eux n’envoient que des tweets, sans aucune interaction. En d’autres termes, plutôt que d’utiliser toutes les fonctionnalités de Twitter (par exemple retweeter, répondre, mentionner, etc.), ces comptes actifs ne publient que des tweets uniques. «D’aucuns pourraient penser que c’est un fait normal pour de nouveaux comptes sur Twitter, mais ce n’est pas comme ça que ça marche», dit t-il. «Ces similitudes comportementales indiquent une coordination ou une campagne d’influence», ajoute le chercheur.
Le chercheur conclut son analyse ainsi: «Il semblerait que le hashtag #dégage_Akhannouch soit manipulé, mais par qui et dans quel but? Ce n’est pas clair. Peut-être que ce sont des adversaires, peut-être que ce sont ses ennemis, ou ceux qui essaient de se concentrer sur lui d’ailleurs. Peut-être que les gens veulent vraiment qu’il parte». En réponse à cette recherche, Yasmine Laâbi, journaliste et fact-checker, a expliqué que «La présence marocaine sur Facebook est beaucoup plus importance que sur Twitter. D’ailleurs, la campagne contre Akhannouch a démarré sur Facebook avant de passer également sur Twitter, ce qui explique que l’émergence d’un grand nombre de nouveaux comptes pour soutenir la campagne est normale».
La même position est soutenue par Youness Masskine, qui estime «que l’analyse d’Owen Jones est loin d’être une analyse précise de la campagne que connaît le Maroc aujourd’hui vu qu’elle s’est limité à Twitter alors que la campagne est née, s’est propagée et s’est développée sur et via Facebook». Toutefois, vu le grand élan qu’a pris la campagne, M. Masskine annonce qu’il y a «un courant fort de citoyens marocains qui partagent une même position, à savoir la protestation contre la cherté de la vie et qui guide la campagne comme il y a l’aspect psychologique qui pousse les autres également à se joindre à la campagne et à partager ce que les autres partagent à un moment donné, en quête d’un sentiment d’appartenance à un groupe fort».
Réponse du gouvernement
En réponse à la question si c’est une campagne populaire ou manipulée, Youness Masskine nous annonce que l’hypothèse de la manipulation n’est pas à exclure dans toute campagne digitale, sans nier qu’une vaste campagne de ce genre ne suscitera pas l’appétit des différents acteurs aux agendas et des intérêts particuliers qui se contenteront du rôle de spectateurs. Cependant, parler du degré de crédibilité d’une campagne particulière et du pourcentage de «falsification» au sein de celleci doit être basé sur des données solides.
Pour analyser cette campagne, quel que soit le parti qui l’a lancée, les chercheurs, les observateurs et les médias doivent se concentrer sur le volume et les données statistiques d’interaction avec la campagne, conclut M. Masskine. Après presque une semaine depuis le début de la campagne contre le Chef du gouvernement, Mustapha Baïtas, le porte-parole du gouvernement, s’est prononcé pour la première fois sur le sujet, ce jeudi 21 juillet 2022. «Ce gouvernement est à l’écoute de toutes les formes d’expression et les écoute avec une grande attention», a-t-il déclaré lors du point de presse organisé à l’issue de la réunion du Conseil de gouvernement.
Poursuivant sa réponse, M. Baïtas a affirmé que «l’Exécutif met tout en oeuvre pour interagir, réagir et prendre toutes les mesures susceptibles de réduire les prix des matières qui ont connu une hausse». Le responsable a tenu à rappeler que le choix démocratique fait partie des fondamentaux du Royaume. Ce choix doit être respecté, a-til affirmé, en soulignant que le Maroc a tenu des élections transparentes. Sur la base des résultats de ces élections, un programme gouvernemental a été élaboré puis approuvé au niveau du Parlement qui a investi ce gouvernement. Depuis, l’Exécutif veille à l’application du programme gouvernemental, a affirmé M. Baïtas.
Un rappel de 2018 ?
Ce n’est pas la première fois que les Marocains choisissent les réseaux sociaux pour protester, contre Akhannouch notamment. En 2018, un appel au boycott des marques Afriquia (carburant), Centrale Danone (produits laitiers) et Sidi Ali a été lancé sur Facebook par des instigateurs anonymes. Cette année-là, alors qu’il occupait le poste de ministre de l’Agriculture, une foule rassemblée à l’occasion de l’inauguration, par le roi Mohammed VI d’un port de plaisance à Tanger (nord) avait demandé le départ du ministre, dont la société Afriquia était ciblée par le boycott. Une scène qui vient de se répéter à Agadir, lors du festival de musique Timitar.
Dans des vidéos largement partagées sur le web, le Chef du gouvernement a été accueilli par des «Akhannouch, dégage!» scandés par une partie des festivaliers, qui reprenaient le message du hashtag de la campagne sur internet. Ce passage des réseaux sociaux au terrain rappelle également la «révolution de Jasmin» ou la «révolution 2.0» qui a illustré comment les réseaux sociaux, en tant que vecteurs contestataires, ont conduit à la chute d’un ordre établi. La question qui se pose est jusqu’où peut aller cette forme de contestation?.