
Qui a dit que le cinéma était cet art mineur et agonisant, tellement il est pris entre la raréfaction des salles et le piratage étouffant sur internet? Ce n’est pas totalement vrai, la preuve par le dernier film de Nabil Ayouch. Un pavé malodorant dans une mare nauséabonde. “Zine li fik” (Much loved) traite de la prostitution au Maroc, plus particulièrement à Marrakech. Le “plus vieux métier du monde” nous est raconté, tout au long du film, par le vécu de quatre prostituées. Les paroles, tout autant que la gestuelle et les postures corporelles, sont d’une vulgarité extrême.
Un exhibitionnisme grossier et démonstratif qui renvoie au voyeurisme d’une clientèle éméchée, accoutrée à la saoudienne. Un voyage au bout des nuits chaudes de la Ville ocre. Tout semble fait pour éloigner les enfants des sites Internet qui diffusent en boucle un bouquet d’extraits sulfureux. Un langage cru et crapuleux et des scènes d’une obscénité plein les yeux. Aucun effort de métaphore allusive ou d’attitudes suggestives. Ce n’est même pas de l’érotisme bas-de-gamme, mais du direct balancé à la figure d’un spectateur médusé. Sur ce, le film a été interdit de diffusion au Maroc.
On a beaucoup ergoté sur cette décision prise par Mustapha El Khalfi, ministre de la Communication. Oui, la prostitution existe au Maroc. Pis, elle semble y avoir pris des proportions industrielles. Le tourisme sexuel à la thaïlandaise est monnaie courante, à ciel ouvert. Il est même devenu, progressivement, une filière d’exportation, avec des prostituées marocaines qui ont essaimé aux quatre coins du monde. Ce n’est pas, pour autant, une raison pour traiter un sujet aussi sensible sur une écriture et un ton aussi provocateurs. (Lire le dossier)
C’est ainsi que l’on parle et que l’on vit dans ce milieu glauque, explique le réalisateur. En somme, du “cinéma réalité” qui force la porte d’entrée au Maroc, se donnant droit de cité par effraction. Sauf que la réalité n’a pas toujours besoin d’être emballée dans une fiction pour être décrite et mise sous le regard du public. Il y a un genre cinématographique pour cela, que M. Ayouch a certainement croisé au cours de ses études. C’est le documentaire. Matériau noble et crédible où la réalité parle d’elle-même. Une méthode qui pourrait très bien être appliquée à la prostitution. Libre cours alors pour dénoncer ce commerce innommable du corps de la femme et appeler à son endiguement.
Ceci pour dire qu’il existe des balises qui relèvent de l’histoire, de la culture et des convictions profondes de chaque peuple. Si toutes ces lignes jaunes étaient transgressibles, il n’y aurait plus de référentiel de pensée, ni de comportement. Il suffit de qualifier de tabous tous ces éléments constitutifs d’une collectivité nationale pour qu’ils soient balayés d’un revers de la main et de quelques mètres de pellicule, au nom de la liberté de création artistique. Dans ce cas d’espèce, où est l’art dans un tunnel d’images, avec une prostituée qui se tortille et se trémousse jusqu’à l’épuisement, tout en s’accompagnement d’un débit verbal des plus trash?
Il existe une propension, depuis un certain temps, à ne mettre en exergue que les côtés sombres, les aspects les plus répulsifs du pays. Une démarche exclusive, à sens unique. À la longue, le Maroc ne serait plus que cela et rien d’autre. Pour s’en tenir au cas Ayouch, celui-ci n’en est pas à son coup d’essai du genre. Il a déjà réalisé “Une minute de soleil en moins” en janvier 2003. Un film du même tonneau. Mustapha Ramid, chef du groupe PJD au parlement, à l’époque, avait demandé son interdiction. Quatre mois après, il y eut les attentats terroristes du 16 mai 2003, à Casablanca. Évidemment qu’il n’y a pas de lien de cause à effet. Mais, raison de plus pour ne pas chatouiller le diable.
Par Mohamed Selhami