L'avocat du Maroc à Paris, Me Rodolphe Bosselut, se confie à Maroc Hebdo sur l'affaire Pegasus


Me Rodolphe Bosselut, avocat du Maroc en France, est un ténor du barreau à Paris. Détenteur d’une maîtrise de droit privé à l’université de Toulouse, d’un DEA droit pénal et des sciences criminologiques et d’un DESS de commerce international, Me Bosselut a une trentaine d’années de carrière en droit pénal (corruption, prise illégale d’intérêt, favoritisme, etc...) et droit de la presse (diffamation, injure, atteinte à la présomption d’innocence, atteinte à l’intimité de la vie privée, délit de fausses nouvelles, provocation à la haine…), entre autres. Autant dire que ce familier du monde des médias et acteur associatif connaît bien son sujet en prenant la défense du Maroc dans l’affaire Pegasus.

Vendredi 17 février 2023, vous avez déclaré qu’il n’y a aucune preuve pouvant justifier l’accusation du Maroc d’avoir utilisé le logiciel d’espionnage pegasus. Sur quelles bases vous vous permettez d’être aussi catégorique ?
En juillet 2021, un consortium de journaux européens, dont des médias français, a sorti des articles accusant le Maroc d’avoir acheté et utilisé le logiciel pegasus pour espionner des personnalités politiques, économiques et des journalistes en France, en Espagne et dans d’autres pays. Ces médias avaient notamment évoqué le téléphone d’Emmanuel Macron, le président français et de certains eurodéputés comme victimes. Le Maroc a vite apporté un démenti catégorique à ces accusations, indiquant n’avoir jamais acquis et a fortiori utilisé le logiciel pegasus. Le Royaume du Maroc m’a mandaté avec mon confrère Olivier Baratelli pour entamer les procédures en diffamation contre ces médias. Et depuis nous n’avons reçu aucune preuve.

Or, la loi sur la presse prévoit que le journal poursuivi pour diffamation a la possibilité de faire une offre de preuves pour établir la réalité des affirmations qu’il avance.

Dans le cas qui nous concerne, les médias que le Maroc poursuit n’ont pas fait d’offre de preuves parce que tout simplement ils n’en ont pas. A l’exception du journal Médiapart qui a fait état du rapport d’Amnesty International et du rapport Citizen Lab. Or, ces rapports ont été soumis par nos soins à des experts judiciaires agréés par les juridictions françaises (Cour de cassation, cours d’appel et même la cour pénale internationale) qui disent que la méthodologie scientifique du rapport d’Amnesty est mauvaise et qu’il est impossible de déduire qu’il y ait eu des infestations avec le logiciel pegasus et que l’on puisse déterminer leur auteur. Aussi, à ce jour, nous n’avons aucune preuve et je dirai même aucun début de commencement d’une preuve.

De plus, je note que les médias membres du consortium créé pour la circonstance, avaient annoncé en juillet 2021 qu’il y aurait chaque semaine de nouveaux articules pour feuilletonner le prétendu scoop. Après les démentis du Royaume et notre action judiciaire, il n’y a pas eu d’article annonçant des éléments nouveaux ou de nouvelles révélations. Cela interroge puisqu’il était promis une enquête au long cours. Nous sommes donc en l’état d’une campagne de presse ponctuelle visant à une déstabilisation sur la base de reproches d’une gravité extrême et sans preuve.

Il n’y pas de liste de victimes non plus?
Non, aucun média n’a présenté de liste de personnes que le Maroc aurait espionnées ou tenté de le faire. Le Premier ministre français de l’époque, Jean Castex, a démenti que le téléphone du Président Emmanuel Macron ait été infecté. La liste de 50000 noms a semble-t-il été revue à la baisse sans que l’on sache si elle existe ou pas. Enfin, le fait de braquer les projecteurs sur le Maroc qui a nié dès le premier jour avoir acquis ou utilisé Pegasus, alors que d’autres pays, notamment européens, ont affirmé l’avoir acquis et utilisé, constitue un paradoxe absolument troublant.


Pourquoi ces médias, écrits et du pôle audiovisuel public français, continuent à vouloir nuire au Maroc?
Je m’interroge. Il faudrait sans doute poser la question à des spécialistes de relations internationales ou des géopolitiques. N’empêche qu’à la base de cette campagne, il y a Forbiden, une « ONG », je mets bien ONG entre guillemets, dont le président Laurent Richard fait des rapports contre le Maroc qu’Amnesty international reprend à son compte.

Les médias reprennent en fin de compte les conclusions d’un rapport unilatéral établi sans aucune vérification scientifique. Je m’étonne de l’attitude moutonnière de certains médias qui reprennent une information non vérifiée sans eux-mêmes la checker. L’affaire aurait pu être réglée si ces médias avaient été plus sérieux en admettant s’être trompés. Ils ne l’ont pas fait. Ils choisissent simplement de contester sur la forme la recevabilité de l’action que nous avons engagée.

Vous voulez dire que depuis la délivrance des citations, leur recevabilité n’a pas encore été prononcée ?
Absolument. L’audience devant la Cour d’Appel le 15 février 2023 était centrée uniquement sur ce point. La Cour rendra sa décision le 12 avril prochain. Je note que les médias que nous poursuivons pour diffamation ont eu recours à ce stratagème pour éviter d’évoquer le fond du dossier. Ils disent que l’Etat n’a pas le droit de déposer des plaintes pour diffamation. Or, nous ne les poursuivons pas au nom du Royaume du Maroc mais au nom des services de renseignements marocains qui ne peuvent agir que par le biais du Royaume. C’est un débat judiciaire purement technique.

Et si la Cour rejette vos plaintes ?
Je pense que nous ferons un pourvoi en cassation mais je suis confiant. Le dossier que nous avons produit est solide et je ne vois pas pourquoi la Cour pourrait déclarer irrecevable la poursuite des diffamations dirigées contre les services secrets et/ou des renseignements du Maroc.

Un tribunal de Madrid a débouté le journaliste espagnol Ignacio Cembrero après expertise de son téléphone portable. Ne s’agit-il pas là d’une jurisprudence que vous pouvez invoquer ?
La décision espagnole est très intéressante. M. Cembrero a accusé le Maroc de l’avoir espionné via pegasus. Il a remis son téléphone à la justice de son pays. Le laboratoire relevant du tribunal madrilène a conclu que le téléphone de M. Cembrero n’a connu aucune attaque par pegasus ou par n’importe quel autre logiciel malveillant. Dès lors, le journaliste fait l’objet d’une plainte pour dénonciation calomnieuse dont il devra répondre. Plainte déposée bien entendu par le Maroc.

Mais une commission du parlement européen a accusé le Maroc d’avoir infesté le téléphone de la séparatiste Aminatou Haidar. Comment les membres de la commission ont pu formuler une telle accusation ?
C’est à ne rien comprendre. Voire à tomber à la renverse. D’abord, la commission parlementaire a entendu Mme Haidar sans aucun contradictoire et sans donner la parole au Maroc. Les accusations de Mme Haidar sont purement déclaratives. Elle indique avoir reçu un message d’alerte sur son téléphone, en avoir informé Amnesty International qui aurait procédé à un examen à distance pour conclure que le Maroc était à la manoeuvre.

Un examen du téléphone à distance alors que dans le rapport d’Amnesty International (déjà contesté parce que peu sérieux), il est indiqué que pour savoir si un téléphone est infesté, il faut l’examiner physiquement, c’est-à-dire l’avoir entre les mains. Je suis absolument consterné qu’aucun député appartenant à la commission n’ait eu la curiosité de connaître les modalités techniques du prétendu examen qu’aurait fait Amnesty International du téléphone de Mme Haidar. En fait, à partir du moment où Mme Haidar déclare que ce serait le Maroc, elle est crue sans autre forme de contrôle. On mache sur la tête.

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