Abdellatif Mansour
La confection et la commercialisation de la burqa sont désormais interdites. Malgré l’intonation impérative de la circulaire du ministère de l’Intérieur, datée du 9 janvier 2017, il est peu probable qu’on ira jusqu’à des interpellations de rue qui pourraient donner prétexte à des réactions sur la voie publique. Mais ce factuel, en lui-même, est de nature à déclencher notre mémoire visuelle, tout autant que notre référentiel religieux et culturel.
On les voyait, ces profils humains tout de noir vêtus, promener leurs silhouettes qui dénotent avec le milieu ambiant. L’image renvoie au corbeau, dans un volume surmultiplié. Un volatile qui n’a pas bonne presse dans l’imaginaire populaire et dans la littérature des lumières; sûrement qu’il méritait mieux que le cliché d’oiseau de mauvais augure. Maître corbeau et M. De la Fontaine nous excuseront pour ce rapprochement peu glorieux. Ce sont apparemment des femmes arborant une enveloppe vestimentaire d’un seul tenant qui les couvre de la tête aux pieds. Difficile de jurer sur l’identité de ce qu’il y a à l’intérieur de ce paquetage massif, un homme ou une femme; tellement l’habit asexué rend ce distinguo hasardeux.
Un premier obstacle qui pose problème aux agents de la maréchaussée. La burqa n’empêche pas que l’identification du genre; elle est si généreuse qu’elle peut calfeutrer une ceinture d’explosif. Il est vrai que toutes les porteuses de burqa ne sont pas des kamikazes terroristes. Mais l’accoutrement est si voyant qu’il est d’emblée associé à une intention malveillante. Les prolongements qu’il peut avoir sont de nature désastreuse. Surtout par les temps actuels où le terrorisme intégriste fait des ravages et sème le chaos.
La décision du ministère a suscité une grosse polémique dans les réseaux sociaux et dans toutes les catégories de notre stratification sociale. Aussi vrai que ce courant venu des ténèbres de l’histoire ratisse large, les gens de peu comme les gens de beaucoup se sentent concernés par ce phénomène sans frontières sociales. Et ils le sont, tous autant qu’ils sont.
Comme tous les effets vestimentaires, la burqa véhicule un message à l’adresse de l’autre. Celui de la burqa appelle au ralliement à un courant de pensée, aboutissant à un engagement actif pouvant aller jusqu’au don de sa vie pour anéantir celle des autres. Ce mouvement qu’on appuie sur un salafisme revu et trahi par des hordes sanguinaires, sans foi ni loi, qui promettent l’apocalypse ici et maintenant, comme billet d’entrée au paradis de l’au-delà.
Fort heureusement, le port de la burqa reste extrêmement marginal au Maroc. Si sa fabrication et son ostentation sur les étalages sont désormais prohibées, le débat autour de ce phénomène, à grande résonance sociale et religieuse, reste ouvert. La passion de la polémique n’exclut pas la liberté d’opinion. À ce titre, deux points de vue diamétralement opposés, de deux autorités religieuses, se sont exprimés. Mohamed Fizazi estime que la burqa, comme manifestation publique d’une identité religieuse, n’a jamais eu droit de cité au Maroc; pas plus que dans le nord-ouest africain.
Elle nous vient d’une aire islamique asiatique, afghane et pakistanaise, essentiellement; et d’une certaine façon de penser et de vivre l’Islam. Hassan Kettani, également imam et grand érudit, s’inquiète «d’une éventuelle extension de cette interdiction au niqab que les Marocaines portent depuis cinq siècles».
La différence entre les deux points de vue, c’est toute la distance entre l’aspiration à une modernité qui ne soit pas forcément synonyme de travestissement culturel et la pesanteur persistante d’un conservatisme accroché à un passé mal assimilé
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