Attention, terrain miné !


Les manifestations des populations de Jerada s’intensifient


Le processus de contestations et de revendications à Jerada ressemble à celui d’Al Hoceima. Dans les deux cas, la population revendique des conditions de vie décente et digne.

Ça ne pouvait pas plus mal tomber pour lui: au moment où le chef du gouvernement, Saâd Eddine El Othmani, envisageait de visiter «prochainement» Jerada, en proie depuis le 23 décembre 2017 à un mouvement de protestation d’une grande partie de sa population, un mineur trouvait la mort dans une des nombreuses mines clandestines de charbon que compte la ville, ce alors que les manifestations avaient justement fait suite au décès de deux mineurs dans des conditions plus ou moins analogues.

Le défunt, un trentenaire répondant au nom d’Abderrahmane Zekkari, était à l’oeuvre ce 1er février 2018 dans une mine située non loin du quartier de Hassi Blal, distant du centre de Jerada d’environ trois kilomètres, quand l’endroit s’est écroulé.

Célibataire, il avait, comme beaucoup d’habitants de son quartier de Tariq Ibn Ziyad, commencé à descendre dans les mines bien avant même d’avoir l’âge légal de travailler -il avait à peine 14 ans-, pour ne plus les quitter une fois adulte après que lui et ses frères et soeurs se soient retrouvés au chômage. «Il subvenait à nos besoins depuis son plus jeune âge,» raconte sa mère, atterrée par la disparition de son enfant, et qui a reçu des autorités la promesse d’un logement et d’un travail pour ses deux autres fils. Déjà électrisés par les décès de décembre, de nombreux habitants de la ville ont de nouveau exprimé leur colère à l’encontre des pouvoirs publics dès lors qu’ils ont eu vent de l’effondrement de la mine où se trouvait M. Zekkari.

Se rendant sur place, certains se sont attelés à la tâche pour tenter d’extirper le défunt. Puis, une fois qu’ils l’eurent retrouvé, après qu’il eut déjà rendu son dernier souffle, ils ont installé son corps dans un minibus qui l’a transporté, dans un cortège de protestation improvisé, jusqu’au siège de la préfecture, au centre-ville. Les autorités locales, qui assurent s’être rendues à Hassi Blal «une fois alertées», ont accusé dans un communiqué publié le même jour les manifestants de les avoir empêchées d’intervenir. «Il n’en est rien,» rétorque cependant Rabah Allou, un habitant de Jerada qui avait été le premier à descendre dans la mine pour tenter de sauver M. Zekkari, en affirmant que les éléments de la Protection civile dépêchés par la préfecture sont restés les bras croisés (une accusation déjà portée à leur encontre en décembre). En tout cas, une enquête a été ouverte sous la supervision du parquet, qui a conduit le 3 février à l’arrestation du propriétaire du minibus à bord duquel avait été transporté le corps du défunt, un dénommé Mounir El Khanfri. Ce dernier avait, quelques heures plus tard, finalement été relâché.

M. Zekkari a été enterré le lendemain du drame au cimetière du quartier Rousse, où quarante-trois mineurs clandestins l’ont précédé depuis la fermeture officielle des mines en juillet 2000, après que son corps ait été autopsié à l’hôpital provincial. La tension était palpable, du fait que le bruit avait commencé à courir que les autorités ne remettraient pas le corps à la famille, de peur que la situation ne dégénère. Certains avaient d’ailleurs menacé de se jeter du haut de l’hôpital, sur le toit duquel ils étaient montés, au cas où on ne laissait pas mettre le défunt en terre.

Accusations et enquête
Le procureur général près la cour d’appel de la ville d’Oujda, dont relève Jerada, allait cependant donner son autorisation à la tombée du jour. L’enterrement a connu la participation de milliers de personnes, dont des femmes, sous la surveillance rapprochée des forces de l’ordre, qui ne sont toutefois pas intervenues du moment qu’elles considéraient qu’il n’y avait pas de trouble à l’ordre public.

Réalisation des revendications

Un puits clandestin

La neige, dont les chutes les jours précédents avaient été telles qu’elles avaient perturbé la circulation au niveau de plusieurs routes régionales et provinciales, n’a pas découragé les manifestants d’accompagner le défunt jusqu’à sa dernière demeure. A vrai dire, rien ne semble prêt à les faire rentrer chez eux, si ce n’est la réalisation de leurs revendications. «Si tu ne ramènes rien pas la peine de venir,» ont-ils d’ailleurs harangué, lors d’une marche tenue le dimanche 4 février, M. El Othmani, après que le bruit de sa venue se soit propagé dans la ville.

Ces revendications, ils les expriment en trois points fondamentaux, à savoir la résolution du problème de la facturation de l’eau et de l’électricité, qui a augmenté au cours du mois de décembre au point d’avoir provoqué une émeute au quartier d’El Massira, un des plus pauvres de Jerada -une voiture de l’Office national de l’eau et de l’électricité (ONEE) avait été saccagée à coup de pierres, le 20 décembre-; la mise en place d’un modèle économique alternatif, ce alors que la ville s’enfonce chaque jour de plus en plus dans le chômage et la pauvreté depuis la fermeture des mines; et que les responsabilités, actuelles comme anciennes, soient établies.

Sur ce dernier point, les manifestants mettent notamment en cause certains élus qui auraient mis en place un juteux trafic mettant à profit la détresse et le besoin d’argent des riverains, à qui les caisses de 100kg de charbon seraient achetées pour quelque soixantaine de dirhams pour être revendues le double en moyenne. Problème, ils seraient obligés de passer par eux, dans la mesure où ils seraient les seuls à disposer de permissions expresses délivrées par le ministère de l’Énergie, des Mines et du Développement durable. À défaut, ils doivent débourser, pour obtenir des photocopies de ces permissions, 3.500 dirhams -une somme vertigineuse au regard de leurs revenus moyens, dans une ville où 22,8% des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit le deuxième pire taux après Zagora, dans la région de Draâ-Tafilalet. S’ajoutent, enfin, aux revendications suscitées celles en rapport avec le traitement de la silicose, une maladie des poumons qui touche typiquement les mineurs.

Promesses et engagements
Le ministère de la Santé avait dans ce sens inauguré, le 3 juillet 2017, un centre entièrement dédiée dans la ville; premier du genre au Maroc. Le coût total avait été estimé à 51,2 millions de dirhams -avec notamment une contribution de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH). Créé sur une superficie d’environ 3.208m2 avec une capacité d’hébergement de 55 lits, il cible quelque 3.000 patients. Ses capacités seraient toutefois insuffisantes: à la fin des années 1990, la société Charbonnages du Maroc, qui dirigeait les mines jusqu’à leur fermeture, estimait rien que le taux de ses employés atteints à environ 80% (sur près de 5.000 personnes).

Questionné, le 1er février à l’issue du conseil du gouvernement, au sujet du mouvement de protestation de Jerada, le ministre délégué aux Relations avec le Parlement et la Société civile, porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi, a affirmé que l’Exécutif était engagé à poursuivre la mise en oeuvre de ses promesses pour résoudre les problèmes socio- économiques dans la ville. «Le gouvernement est animé d’une forte volonté,» assure-t-il. Les promesses dont il est question avaient été exprimées lors des visites de terrain qu’avaient effectuées, le 3 janvier dernier, le ministre de l’Énergie Aziz Rabbah, et, le 18 janvier, le ministre de l’Agriculture, Aziz Akhannouch.

Le premier avait annoncé qu’il avait été décidé de doter la province de Jerada d’une carte géologique -«pour explorer les potentialités minières dans cette région et, partant, donner une visibilité aux investisseurs», avait-il expliqué-, qu’une étude sur les conditions de sécurité dans les puits de charbon sera lancée et qu’il sera procédé à l’examen des moyens de garantir une exploitation idéale des mines, en plus d’une étude approfondie sur la question des déchets miniers. Il s’était également engagé à ce que la quatrième tranche de la centrale thermique de Jerada -opérationnelle depuis fin décembre- et l’ONEE recrutent des jeunes de la province.

Quant à M. Akhannouch, il avait fait état d’un programme d’action concernant notamment l’irrigation, les produits de terroir, l’aménagement des parcours, le développement de la race ovine et caprine, l’apiculture, la plantation d’arbres fruitiers et la création de coopératives. S’il n’avait pas annoncé de montant, il avait toutefois assuré que les projets programmés feraient l’objet d’un suivi rigoureux, et ce à l’échelle de toutes les communes territoriales de la province de Jerada. Un plan couvrant les trois prochaines années a par ailleurs été mis en place par son département, selon ce qu’il avait affirmé.

Solutions radicales
Les manifestants, s’ils ont salué ces promesses, les considèrent toutefois comme secondaires par rapport à leur cahier revendicatif. «La population ne veut pas de promesses; elle veut des solutions réalistes et radicales à la crise,» avait déclaré, le 31 janvier sur la chaîne émiratie Al-Ghad, l’activiste Aziz Naït Abbou surnommé Errach, que les manifestants avaient désigné comme porte-parole auprès de MM. Rabbah et Akhannouch.

C’est dire si ce n’est pas demain la veille que devrait, à ce rythme, se dénouer le mouvement de protestation. Ayant sans doute en tête le Hirak du Rif, duquel se réclament d’ailleurs ouvertement les manifestants de Jerada - «le peuple veut Nasser Zafzafi», fut un de leurs premiers slogans-, M. El Othmani aura sans doute à coeur de gérer ce printemps tombé en plein hiver de façon posée...

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