Une atteinte totalement injustifiée à la liberté d'expression

PROJET DE LOI CONTRE LES FAKE NEWS

Il faut dissuader, certes, les diffuseurs de fausses informations, mais pas avec un outil juridique répressif qui fasse peur à ceux qui veulent critiquer la gestion de la chose publique ou des magouilles dont ils sont victimes.

Monsieur le ministre d’Etat chargé des droits de l’Homme, la question n’est pas tranchée. Votre lapsus est révélateur. «La version dont quelques dispositions ont été publiées sur les réseaux sociaux est devenue désuète, car elle avait fait l’objet de critiques formulées par des membres du gouvernement. D’où la décision de réviser son contenu par une commission technique. Tout ce qui s’est dit ou se dit à ce sujet est aujourd’hui prématuré. La version qui sera transmise au Parlement est la seule qui pourra être discutée», a déclaré El Mustapha Ramid à Médias 24. D’abord, plaçons les déclarations de M. Ramid dans leur contexte.

On parle du projet de loi 22.20 encadrant l’usage des réseaux sociaux. Sur ces mêmes réseaux socio-numériques, un tollé a éclaté ces deux derniers jours suite à la diffusion d’extraits de ce projet sur les comptes Facebook et Twitter du youtubeur Mustapha Swinga. Adopté le 19 mars 2020 en Conseil du gouvernement, le texte déjà décrié n’avait jusque là jamais été rendu public. Les extraits dévoilés portent, entre autres, sur des articles réprimant l’appel, via les réseaux sociaux, au boycott de produits, marchandises et services (entre 6 mois et 3 ans d’emprisonnement et une amende de 5.000 à 50.000 DH ou l’une des deux peines seulement), ainsi que l’incitation du public au retrait de leur argent des établissements de crédits et organismes assimilés.

Période électorale
Un autre article punit, lui, le fait de diffuser de fausses informations susceptibles de jeter le doute sur la qualité et sécurité de produits... Ce n’est pas la bonne version, s’accordent à dire des sources gouvernementales. Puis vient M. Ramid pour nous révéler que «la version dont quelques dispositions ont été publiées sur les réseaux sociaux est devenue désuète, car elle avait fait l’objet de critiques formulées par des membres du gouvernement ». Donc, cette version n’est pas une fake news en soi. Elle a existé. Elle existe toujours. Après son adoption par l’Exécutif, le texte a été placé entre les mains d’une commission technique pour le revoir partiellement avant d’être soumis au Parlement. Et c’est ce qui compte pour l’heure.

Comment au sein du gouvernement peut-on parler de faire taire la liberté d’expression parce que le business de certains hommes d’affaires va être négativement impacté? Un exemple terre-à-terre permet de mesurer l’ampleur de ce scandale. Un jeune internaute, insatisfait de la qualité d’un produit qu’il a consommé, en parle sur Facebook. Il sera alors, pour sa prise de position, poursuivi en justice et écopera d’une peine privative de liberté. Comment une telle réflexion a-t-elle pu même effleurer l’esprit de membres de la majorité gouvernementale alors qu’elle constitue une régression calamiteuse des droits humains et des libertés individuelles et d’expression? Comment certaines composantes du gouvernement ont-elles pu accepter qu’une telle version soit adoptée?

Le projet de loi questionne car les informations potentiellement concernées peuvent être aussi celles publiées en période électorale: législatives, municipales.... Les formulations du texte sont en outre parfois très floues, ce qui ne rassure pas. Plus inquiétant encore est le silence des partis de l’opposition. On est tous contre les fake news (intox ou fausses informations selon le néologisme français) qui se propagent rapidement sur les nouveaux médias sociaux quand elles touchent la sûreté et la sécurité des Marocains et du pays. En dehors de ces considérations, légitimes par ailleurs, on ne peut permettre que sous réserve de lutter contre les fausses informations et la diffamation, le gouvernement réprime la liberté d’expression et répande un sentiment de terreur.

Il faut dissuader, certes, les diffuseurs de fausses informations, mais pas avec un outil juridique répressif qui fasse peur à ceux qui veulent critiquer la gestion de la chose publique ou des magouilles dont ils sont victimes.

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