HOMMAGE. Il y a 20 ans jour pour jour s’éteignait l’une des voix les plus emblématiques de l’athéisme dans le monde musulman. Portrait d’Abdellah Al-Qassimi, un des penseurs les plus originaux de la pensée arabe au XXe siècle.
Des athées, le monde d’Islam en a connu une pléthore tout au long des siècles passés. L’Histoire retient notamment le nom d’Ibn Al-Rawandi, célèbre philosophe persan des VIIIe et IXe siècles, dont le “Livre d’émeraude”, une cinglante critique de la religion, a fait date. Plus récemment, on peut citer le Franco-maghrébin Abdelwahhab Meddeb, qui dans la droite ligne de la philosophie morale inspirée par le Danois Soren Kierkegaard, se déclarait, jusqu’à son décès, regrettable, en 2014, “musulman athée”.
De tous ces penseurs, cela dit, le plus sulfureux, le plus caustique est sans doute le Saoudien Abdellah Al-Qassimi. Relativement méconnu dans le monde arabophone, en raison de la censure dont son oeuvre a subi les foudres liberticides au cours de sa passionnante vie, il fait figure d’énigme à plus d’un titre, lui qui est passé du salafisme d’inspiration wahhabite, c’est-àdire, sans doute, le plus violent, le plus obtus d’entre tous, à une critique extrême de la religion, doublée d’une négation corrosive, presque nihiliste, de l’idée même de Dieu. On peut, cela dit, déceler l’entièreté de son caractère, qui se retrouve dans la totalité de son oeuvre, quelle que soit la période de son existence. Samedi 9 janvier 2016, cela faisait vingt ans jour pour jour qu’il avait disparu, dans son exil dans la capitale de l’Egypte, Le Caire, laissant un vide immense dans le monde intellectuel non seulement musulman, mais universel.
Tentatives d’assassinat
Car la critique d’Al-Qassimi ne manquait pas, contrairement à ce que peut laisser penser son revirement radical ultérieur, d’élaboration. C’était, d’abord, un érudit, qui longtemps avait profondément cru au message du Coran, livre saint de l’Islam. En 1927, âgé d’à peine vingt ans, il rejoint la célèbre université d’Al-Azhar, référence en matière d’enseignement théologique dans le monde sunnite, et se distingue surtout, pendant ses années d’étude, par un pamphlet qu’il adresse à une des figures de proue de l’université à l’époque, Youssef Al-Degwi.
Ce dernier avait eu, aux yeux d’Al-Qassimi, l’outrecuidance de s’attaquer au wahhabisme, ce qui vaudra au natif de la ville de Buraydah, dans l’actuelle Arabie saoudite, l’expulsion pure et simple. Ironique quand on sait le chemin pris par la suite par le jeune intellectuel, laissant notamment deux opus majeurs de la critique athéiste de la religion derrière lui, “Voici les menottes” et “Ils mentent pour voir Dieu beau”, réédités, tous les deux, chez des maisons d’éditions libanaises au cours des années 2000.
Pendant sa vie, Al-Qassimi fera l’objet de deux tentatives d’assassinat, auxquelles il échappera, à chaque fois, par miracle. Son oeuvre a, depuis sa mort, été décortiquée par différents auteurs d’expression arabe ou autre, notamment, dernièrement, par le journaliste égyptien Abderrahmane Ibrahim, qui a connu de très près le penseur au Caire et a consigné le témoignage de sa proximité avec le personnage dans son émouvant “Cinquante ans avec Abdellah Al-Qassimi”, édité en 2015 chez Jadawel.