Asmae El Moudir, gagnante de l’etoile d’or du fifm 2023 : Envers et malgré tout

Derrière le sacre de la jeune réalisatrice, scénariste et productrice marocaine se cache avant tout des années de travail et d’abnégation afin d’atteindre son rêve. Un modèle de persévérance pour tous les Marocaines et les Marocains.


À peine le Festival international du film de Marrakech terminé, où elle a brillamment remporté l’Étoile d’or avec «La Mère de tous les mensonges» au Festival international du film de Marrakech (FIFM), Asmae El Moudir s’était déjà envolé pour la ville de Jeddah, en Arabie saoudite, pour le Red Sea Film Festival, pour encore une fois présenter son film. Un périple qui s’étale depuis trente-cinq festivals déjà. Mais ce n’est sans doute pas cela qui va refroidir la jeune réalisatrice, scénariste et productrice marocaine, elle dont on sent rapidement, quand on l’approche, qu’elle en veut et qu’elle se donne tous les moyens pour réussir.

Dose de perfectionnisme
Ceci est d’ailleurs clairement pour expliquer son succès actuel, qui s’était également traduit, en mai 2022, par son obtention du prestigieux prix de la mise en scène dans la sélection “Un certain regard” du Festival de Cannes. Mais en dehors de sa passion, on peut aussi de façon évidente déceler chez Asmae El Moudir une dose de perfectionnisme, qui se retrouve notamment, comme elle nous le confie dans l’interview qu’elle nous accorde, dans la façon dont elle a conçu “La Mère de tous les mensonges”. Ainsi, c’est pendant une période de dix ans qu’elle s’est engagée corps et âme pour faire aboutir son projet et pour qu’il soit de la qualité qui est la sienne, unanimement reconnue par le jury du FIFM. Ses collaborateurs, eux, parlent de son attention méticuleuse aux détails et de sa capacité à inspirer ceux qui l’entourent. “Je suis impliquée dans chaque aspect de la réalisation de mes films. Que ce soit pour le montage, le mixage ou l’étalonnage, je m’assure de mettre la main à la pâte», nous confie-t-elle.

Pour arriver à une telle maestria, Asmae El Moudir a, depuis sa prime jeunesse, cherché à parfaire autant que faire se peut son savoir-faire. Titulaire d’un master en cinéma documentaire de l’Université Abdelmalek Essaâdi de Tétouan et d’un master en production audiovisuelle de l’Institut supérieur de l’information et de la communication (ISIC) de Rabat, elle a également étudié à La Fémis à Paris. Mais il faut dire aussi que dans la photographie et le fait de raconter des histoires qui résonnent avec son vécu, elle trouve une source d’énergie inépuisable. “J’ai justement choisi ce domaine parce que j’adore la photographie et raconter des histoires. Vu que je n’ai pas eu la possibilité de me consacrer à l’écriture de livres, à la musique ou à la peinture, j’ai trouvé dans le cinéma le moyen idéal pour exprimer mes idées”, détaille Asmae El Moudir. Venant d’un milieu populaire de Salé où les ressources étaient limitées et les opportunités rares. «Je porte en moi les espoirs et les rêves de tous ceux qui viennent de milieux modestes et qui aspirent à changer le monde à travers leur art», lâche-t-elle, quand on lui pose la question sur son enfance.


Processus d’introspection
C’est un jour qu’elle se trouve à Casablanca, dans la maison où elle a grandi, pour aider ses parents à déménager que l’idée de faire “La Mère de tous les mensonges” lui vient. Là, elle trouve une vieille photo d’elle enfant, qui déclenche en son intérieur un long processus d’introspection. «Cette photo est mon unique lien avec mon passé, mais je ne crois pas que je sois l’enfant qui y figure», déclare Asmae. Armée de sa caméra, elle se lance dans une investigation personnelle, cherchant à démêler les vérités et les mensonges transmis par sa famille.

Elle en vient alors à se pencher sur les émeutes de la faim de juin 1981, un chapitre sombre et méconnu de l’histoire marocaine. «Trouver des images de ces événements a été un vrai défi. Mais en fin de compte, j’ai découvert une photo saisissante des émeutes, qui parle d’elle-même», relate Asmae El Moudir. Pour recréer son quartier d’enfance et raconter cette période troublée, Asmae El Moudir utilise des figurines et des maquettes. «Ce dispositif artistique m’a permis de raconter l’histoire d’une manière unique, mêlant symboles et techniques cinématographiques pour offrir une nouvelle perspective sur ces événements historiques,» explique-telle. De ce fait, son film constitue une oeuvre hybride, qui revisite le passé marocain sous un angle à la fois personnel et universel. “Ce n’est pas seulement mon histoire, c’est l’histoire de nombreux Marocains. C’est une invitation à regarder notre passé avec honnêteté, pour mieux comprendre notre présent», poursuit-elle.

Depuis son court métrage «La Dernière Balle» en 2010, la filmographie d’Asmae El Moudir incarne une mosaïque de genres et de thèmes: fictions, documentaires, vidéoclips -chaque oeuvre, qu’il s’agisse de «Les Couleurs du silence», «Mer(e)», «Thank God It’s Friday» ou «The Postcard» présente une exploration minutieuse des émotions humaines et de la complexité narrative. Son engagement envers le cinéma transparaît également dans ses collaborations avec des chaînes de renom telles que la SNRT au Maroc, et, ailleurs, Al Jazeera Documentary, la BBC et Al Araby TV. En 2022, son intégration au Netflix Equity Fund aux côtés de quatre autres cinéastes arabes a marqué un tournant, soulignant son influence en tant que pionnière dans l’industrie. Et, avant tout, pionnière marocaine.

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