ÇA N'ARRIVE PAS QU'AUX AUTRES...

Le monde arabe est à l’épreuve. Le Maroc est sans doute conscient de tout cela. Il ne prétend plus à l’«exception».

Et maintenant le Liban! Le Liban donc, qui l’eût dit? Qui l’eût cru? Et pourtant, au pays du Cèdre, voilà la contestation sociale qui s’enflamme, elle aussi, dans son style passablement festif, qui témoigne par bien des traits d’une certaine maturation. Au coeur, la jeunesse, une génération qui n’a pas dans son bagage mémoriel comme ses aînés des trois dernières décennies du siècle dernier, lesquels recouraient plutôt à la grammaire de la «Kalach» et des voitures piégées.

Le monde arabe est à l’épreuve. Son histoire n’a pas manqué, certes, de spasmes, de tueries et de massacres, de répression et de changements par la violence. Les coups d’Etat étaient à cet égard une posologie courante. Un bilan quasiment sinistré qui a été mis à l’index par ce que l’on appelle les «printemps arabes». Un terme générique, bien sûr, qui ne rend pas compte des spécificités des situations nationales; mais il permet d’avoir du recul et de mesurer globalement les convulsions qui se perpétuent et même se prolongent.

Ce qui est en cause relève de plusieurs chapitres. L’échec de politiques publiques qui ont aggravé les inégalités sociales et spatiales, et fait perdre l’espoir d’un mieuxêtre. Les discours officiels vantent les réalisations, les grands projets, voire même les chantiers pharaoniques -comme dans l’Egypte du maréchal Al Sissi; oui, sans doute, mais la majorité des citoyens en retirent-ils vraiment les fruits? Il y a également le rejet de la corruption, qui s’est aggravée et qui est un vecteur accélérateur du différentiel accentué entre les possédants, les nantis, ceux d’«en haut» qui ne veulent pas voir ceux d’«en bas»... Et puis, comment ne pas mentionner encore l’exigence de dignité (karama), une revendication tout aussi décisive et mobilisatrice mise en avant comme expression protestataire dans la chaotique transition en cours. Il s’agit de donner forme et surtout contenu à une pleine citoyenneté à laquelle les citoyens aspirent. Des droits et des libertés à consolider correllés à des devoirs: un «mix» pour l’heure aléatoire et grandement inachevé.

Difficile de tirer des plans sur la comète et de prévoir par avance un déroulé devant conduire à terme à un projet de société démocratique et pluraliste. L’onde de choc de la présente décennie reste, par bien des traits, brouillonne, confuse, charriant le meilleur et le pire. Alors? Que faire? Redonner la priorité à deux axes majeurs au moins. Le premier est celui des réformes profondes de correction du modèle de développement qui a failli pour lui substituer autre chose: une vision, un cap, une feuille de route. C’est là le sens de l’appel royal, voici deux ans, pour réfléchir et délibérer ensemble à autre chose dans ce domaine. Quant au second, il intéresse, lui, la réhabilitation des vertus de la politique. Ce que l’on a sur le marché -au Maroc et ailleurs même avec des particularités locales- ne trouve plus preneur. L’offre politique et programmatique des partis ne répond pas aux besoins et aux aspirations des citoyens. La circulation des élites et l’ascenseur social sont pratiquement en panne.

Les parents sont inquiets pour leurs enfants en voyant qu’ils vivront moins bien qu’eux. Le spectre du nihilisme peut générer le désespoir et fournir bien des contingents à des extrémismes. L’exode des jeunes et des compétences participe de ce phénomène. C’est une classe d’âge qui doit se voir offrir des raisons d’espérer pour les années à venir. Le poids du passé, avec ses symboles et ses valeurs, importe peu pour ces jeunes. Ils sont dans le présent, le vécu et le ressenti.

Le Maroc est sans doute conscient de tout cela. Il ne prétend plus à l’«exception» comme il le faisait volontiers de manière paresseuse et indolente avant les attentats terroristes du 16 mai 2003 à Casablanca et le Mouvement du 20-Février de 2011, sans parler du Rif, de Jerada et d’autres mouvements sociaux de 2019. La tourmente potentielle est là, par contagion, virale, télévisée au quotidien. C’est le défi à remporter face à ses risques et ses menaces. Comment? par le changement et les réformes. La chance, c’est que le principe de légitimité est historique et consensuel -la monarchie. Il n’y a pas de «Plan B». Reste le cahier de charges à assurer par les différents acteurs sous la conduite éclairée et courageuse de S.M. Mohammed VI.

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