Annato, premier long-métrage de la réalisatrice marocaine Fatima Boubekdi

Pour une réconciliation avec notre identité africaine

Annatto, premier long-métrage de Fatima Boubekdi, en salles depuis le 16 février 2022, est une ode à la tolérance et à la liberté. En racontant les péripéties d’une métisse franco-sénégalaise tombée amoureuse d’un jeune commerçant marocain, la réalisatrice dénonce le racisme et le sexisme, et appelle à redécouvrir certaines facettes oubliées de l’identité marocaine.

Racisme, condition de la femme, emprise coloniale sur l’Afrique .. Pour le tout premier long-métrage de sa carrière, Fatima Boubekdi frappe fort. Après plus de 20 ans consacrés notamment aux téléfilms et séries télévisées, dont certains ont fortement marqué le public marocains, comme Romana et Bertal, Douiba et Hdidane, la réalisatrice et scénariste marocaine fait son premier pas dans l’univers du grand écran avec Annatto.

Dépassant les limites du national, ce long-métrage se veut surtout africain et universel, en racontant l’histoire tragique d’Annatto, une jeune femme métisse de l’île Saint-Louis des années 1930, fruit d’une histoire d’amour entre un père français et une mère sénégalaise. Orpheline depuis un très jeune âge après l’assassinat de ses parents, Annatto ne veut qu’une seule chose: publier le livre trop dérangeant de son père, qui a justement causé la mort de celui-ci et de sa femme.

Mais le destin d’Annatto est totalement chamboulé lorsqu’elle croise Adnane, jeune commerçant marocain en séjour au Sénégal, et tombe sous son charme. Les deux vivent alors une intense histoire d’amour qui se soldera par un mariage de plaisir, une forme de liaison à durée déterminée, instaurée par la religion afin d’éviter la tentation du péché.

Un violent changement
Après des débuts féeriques pendant plusieurs mois, durant lesquels Annatto ouvre son coeur à quelqu’un pour la première fois, en racontant à Adnane la disparition de ses parents et son désir de se faire justice en publiant le livre de son père dénonçant l’exploitation coloniale de l’Afrique, la jeune femme se heurte à la réalité.

Adnane doit rentrer à Fès après la fin de sa mission, et elle n’a d’autre choix que de le suivre, même si leur mariage de plaisir a expiré. Annatto découvre que son amoureux est un mari et père d’une fille à l’âge de l’adolescence, et se retrouve alors écrasée par l’étouffant atmosphère de rivalité avec la première épouse, Jawahir, mais aussi par les traditions strictes au sein d’un foyer typique de la bourgeoisie fassie des années 1930.

Une société profondément patriarcale, où la femme est reléguée au second rang, obligée de composer avec les différents rapports de forces autour d’elle, et de réprimer ses propres désirs et sentiments au nom des coutumes. Mais Annatto doit supporter un second fardeau tout aussi lourd et handicapant que le sexisme: le racisme. Un mal décortiqué parfois avec une pointe d’humour, comme lorsque les servantes de Jawahir, pourtant à la peau noire, qualifient Annatto de “négresse”.

Un véritable choc pour le jeune métisse, dont l’esprit a longtemps été bercé par la valeurs de la liberté et du rejet de l’oppression. Pour atténuer l’impact de ce violent changement, elle trouve refuge dans sa passion pour l’écriture et sa machine à écrire qu’elle a héritées de son père, mais aussi dans sa complicité naissante avec Rita, fille de la première épouse de Adnane. Grâce à ces deux sources d’espoir, Annatto trouve enfin ses repères dans son nouvel environnement, et commence petit à petit à trouver la force pour résister, voire plus. Elle finira même par faire comprendre à sa rivale Jawahir, devenue son alliée vers la fin du film, qu’elle aussi a été victime de certaines traditions qui l’ont longtemps empêchée d’être la femme qu’elle a toujours souhaité être.

Cette amitié inattendue culminera à la fin de ce long-métrage de 102 minutes, lorsque la première épouse décide de prendre en charge le seul survivant des deux jumeaux d’Annatto, morte peu de temps après leur avoir donné naissance, à la suite de son calvaire physique et mental au Maroc. La mort tragique de la protagoniste, ainsi que le destin méconnu de son amoureux Adnane, parti commercer dans les dangereuses routes d’Afrique au lendemain du déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, prennent les spectateurs habitués aux fins plus joviales des productions de Boubekdi, à contre-pied.

Le réconfort vient de la décision de Rita, devenue écrivaine, des années plus tard, de rendre hommage à Annatto, en immortalisant l’histoire de celle qui a été brièvement sa deuxième maman, dans un livre édité. Une puissante scène finale qui appelle à privilégier les valeurs humaines communes aux dépens de la discrimination et des préjugés en tous genres. Une touche d’optimisme pour rappeler aux spectateurs que la lutte et le sacrifice d’Annatto n’ont pas été vains.

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