Amr Alem : “Le Maroc est aujourd’hui la première puissance sportive africaine”


Chercheur spécialisé en Management du Sport à l’ESSEC Business School, Dr. Amr Alem nous livre son analyse sur la stratégie sportive du Maroc.

 

La performance sans précédent du Maroc lors de la Coupe du monde Qatar 2022 a fait parler d’elle médias internationaux, artistes et personnages publics du monde entier. Pourquoi le foot suscite-t-il autant d’intérêt et d’engouement?

Outre sa grandissante importance économique, le sport, de manière générale, est suivi de manière planétaire. Il donne lieu à une convergence à l’échelle mondiale pour utiliser le sport sur le plan politique; mais pas que, puisque toute personne recherchant de la visibilité peut s’y investir. Et ça marche car cela attire des audiences et reste, à l’heure de la démultiplication des canaux d’information, une des rares occasion où les gens regardent ensemble, c’est à dire qui arrive à fédérer une communauté, notamment nationale. Ce qui nous amène à nous interroger sur le futur de la relation sport-politique sur fond d’une globalisation irréversible.

 

Comment le couple sport/politique pourrait-il être au service de la nation?

Ce qu’il faut savoir, c’est que sport et politique forment un couple dont l’ADN s’est construit autour de deux principales hélices: l’utilisation du sport à des fins de cohésion nationale, qui répond à la théorie de nation-building, et celle à des desseins de rayonnement international, qui renvoie au concept de nation-branding. Plusieurs exemples peuvent être mobilisés pour illustrer ces deux points: Au 19ème siècle, la puissance de la Grande-Bretagne s’appuyait notamment sur le sport pour étendre sa domination économique et culturelle; Dans les Antilles Britanniques, le militant politique C.L.R James (1963) s’est très tôt saisi des capacités de mobilisation du sport pour porter ses revendications d’indépendance.

En Amérique latine, grâce au sport en général et au football en particulier, des cultures nationales présentes dans cette région ont pu émerger, comme l’Uruguay, dont l’écrivain national Eduardo Galeano disait d’ailleurs, «Ce maillot bleu-ciel était la preuve de l’existence d’une nation. [...] Le football a propulsé ce petit état en dehors des méandres d’un anonymat universel

Du côté des États-Unis, l’intérêt politique du sport a commencé à l’aube du 20ème siècle. Ce désir d’influence était déjà présent au moment de la participation de la délégation américaine aux Jeux Olympiques 1924 à Paris, où elle a été envoyée pour «vendre les Etats-Unis au reste du monde», avant de prendre une véritable tournure institutionnelle au sortir de la deuxième guerre mondiale, autour du concept de diplomatie sportive. Les premiers à avoir rempli ce rôle dans le sport étaient les joueurs de ping-pong américains et chinois, dans un match disputé le 14 avril 1971, en plein froid diplomatique entre les deux pays. Le sport a donc été utilisé comme un outil diplomatique pour rapprocher les deux pays. Cette diplomatie parallèle n’engageait pas directement les capitales en cas d’échec. Elle a permis à la fois d’envoyer des signaux aux opinions publiques nationales et mondiales et de tester un rapprochement pour lui permettre de prendre une plus grande ampleur. Ce chapitre reste mythique dans l’histoire de l’influence internationale par le sport. Plus généralement, ce modèle est aujourd’hui imité et développé par d’autres pays comme la Chine, la Russie, et, surtout, le Qatar, qui reste le plus notable.

Le Maroc, armé de cette feuille de route, s’est investi sur plusieurs maillons de la chaine de valeur sport. Quels sont-ils?

La création de l’ultra-moderne centre Mohammed VI, la formation des joueurs avec l’Académie Mohammed VI ainsi que les centres de formation des clubs d’une Botola empruntant la voie de la professionnalisation, la construction de stades, la restructuration notamment de la Fédération Royale Marocaine de Football, les médias avec une chaîne publique exclusivement dédiée au sport (Arriyadia), ainsi qu’une station privée (Radio Mars), la création du Master en Management du Sport, notamment dans différentes ENCG et autres Universités… mais aussi l’organisation d’événements sportifs avec notamment deux Coupes du monde des clubs (2013 et 2014), l’accueil des matches de plusieurs nations africaines comptant pour les éliminatoires de la Coupe d’Afrique des nations et de la Coupe du monde, l’organisation d’un CHAN (2018) et un dossier certainement des plus solides pour l’organisation de la Coupe d’Afrique 2025 qui pourrait être une véritable vitrine pour le Maroc en vue d’une potentielle candidature pour l’organisation de la Coupe du monde.

 

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