C’est tout ou rien! Les relations diplomatiques et économiques entre le Maroc et la France ont toujours connu des hauts et des bas en fonction du contexte global des relations franco-maghrébines. Quand cela va mal avec l’Algérie, en particulier, l’Hexagone se rapproche du Maroc. C’était la règle avant que le Royaume ne dicte ses règles pour tout partenariat bilatéral ou multilatéral, qui se doit d’avoir pour socle la transparence et le respect des intérêts stratégiques mutuels. Quand Paris l’a bien compris, bon gré mal gré, elle a tenté de rebattre les cartes politiques avec Rabat. En trois mois, trois ministres français ont officiellement visité le Maroc.
D’abord, Stéphane Séjourné, investi par le président Emmanuel Macron pour réchauffer les relations bilatérales; le 26 février 2024, ensuite Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, qui est venu les 21 et 22 avril; et enfin, quelques jours plus tard, Bruno Le Maire, le ministre français de l’Économie et des Finances, qui lui, est venu, accompagné d’une importante délégation du Medef (patronat français), sceller la soi-disant nouvelle entente politique par des mémorandums d’entente sur des d’éventuels accords économiques. C’était à l’occasion du Forum annuel d’affaires France-Maroc tenu le 26 avril à Rabat et qui n’avait pas eu lieu depuis 2019 en raison de la pandémie du Covid-19 et surtout en raison du froid diplomatique entre les deux pays. M. Le Maire n’est venu les mains vides. Il avait plein de projets de coopération dans la poche. «Une politique sans économie, c’est comme un moteur sans essence, ça n’avance pas.», tambourinait-il.
Initiatives innovantes
Sa première «récole» concrète est liée à la transition énergétique et à l’accompagnement de la stratégie énergétique marocaine par la recherche appliquée et l’innovation dans le domaine des technologies vertes. Ainsi, l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (IRESEN) a consolidé son partenariat avec la Société d’accélération du transfert de technologies de Paris-Saclay (SATT Paris- Saclay). Cette démarche s’inscrit dans le cadre de la consolidation du partenariat entre le Maroc et la France, soutenu par l’Agence française de développement (AFD) et le Trésor français, via un don de 800 000 euros. Ainsi, un appel à projets innovants dédiés à la filière de l’hydrogène décarboné sera lancé au 2ème semestre 2024. Il vise à sélectionner, accompagner et développer durant 3 ans, 2 à 3 initiatives innovantes d’excellence portées par des équipes franco-marocaines pour contribuer à la transition vers une économie décarbonée.
Par ailleurs, la France cherche sa part du gâteau des grands chantiers d’infrastructures et de superstructures que recèle le projet de développement du Royaume et son plan d’accueil des grandes manifestations sportives dont principalement la Coupe du monde de football de 2030. Et il n’y a pas que le TGV ou l’énergie verte qui intéressent les opérateurs économiques français, mais aussi les centrales nucléaires de dessalement de l’eau de mer, au regard du stress hydrique qui menace le Maroc. «J’ai également mis sur la table la possibilité d’une coopération dans le domaine de la production d’énergie nucléaire. Vous savez qu’à la demande du président de la République, nous travaillons sur ces fameux SMR, des réacteurs modulaires de plus petite taille. Au gouvernement marocain de décider s’il peut être intéressé par cette coopération», a annoncé Bruno Le Maire. L’énergie nucléaire est un bon moyen pour réduire le coût du dessalement mais les petits réacteurs modulaires (SMR), beaucoup plus puissants que les réacteurs conventionnels, sont encore au stade de l’expérimentation et le coût de l’énergie qui en résulte n’est pas encore délimité.
Industrie émergente
Quoiqu’il en soit, c’est une ambition qui en cache une autre, celle de l’offre d’hydrogène vert du Maroc et que la France s’efforce à en être doublement bénéficiaire, autant que client que partenaire dans cette industrie émergente. Le politique et l’économique sont inséparables. C’est vrai. D’ailleurs, ce n’est pas Patrick Martin, président du Medef, qui dira le contraire. Pour lui, une coopération portée à un niveau supérieur devra se traduire par plus de co-entreprises (joint-ventures) franco-marocaines qui investissent le marché africain. La France ou les décideurs économiques français n’ont plus le choix que de s’allier à leurs homologues marocains pour réinvestir l’Afrique.
L’Hexagone a quasiment perdu son influence dans son ancien «pré carré» africain. Des slogans comme «France dégage» témoignent du ressentiment de rejet, visible au Niger, au Mali et dans d’autres pays d’Afrique francophone. Cela renseigne sur la perte de l’influence militaire, économique et culturelle de la France dans cette région du monde. Depuis, les multinationales françaises dont celles opérant dans l’énergie et les hydrocarbures voient leurs intérêts menacés et se sont avisés de mettre en veilleuse leurs projets d’investissement.
Dans des domaines tels que le ferroviaire, l’aéronautique, et l’industrie automobile (véhicules électriques et batteries), la France y voit des niches d’investissements et d’ancrage de sa présence au Maroc. Pour tout cela, la France lorgne le Fonds Mohammed VI pour l’investissement. Elle souhaite nouer un partenariat entre ce fonds et sa banque publique d’investissement BPI. Cela permettra de favoriser en quelque sorte les investissements de l’Hexagone.
Paris serait aussi sur le point de financer des projets d’investissements dans les provinces du Sud. Tout bien compté, c’est de bonne guerre. Mais à la longue, ce partenariat, aussi solide et ambitieux qu’on laisse entrevoir, ne peut pas durer si la France, notre partenaire économique et commercial historique, ne revoit pas sa politique vis-à-vis du Royaume, sur une base saine et limpide.