
L’ambassadeur d’un art émancipateur
PORTRAIT. Les parodies délirantes du groupe marocain Barbeapapa font un carton sur la toile. Derrière cette successstory, Ali Melouk, un rêveur aux multiples talents.
Détendu et le sourire aux lèvres. C’est ainsi que Ali Melouk nous a accueilli dans son studio d’enregistrement à Casablanca. Un appartement de 4 pièces, totalement désordonné et au décor décalé.
Ici, c’est l’antre du fondateur de BarbeaPapa, célèbre groupe marocain spécialiste de parodies musicales. Le jeune homme venait juste de se réveiller. Il accepte de nous répondre avant de prendre son petit déjeuner. «J’ai passé la soirée à bosser jusqu’à 7h du matin, j’ai trop de boulot à terminer».
La tête pensante du groupe est un être nocturne. «Je vis ainsi depuis longtemps. Je ne dors que 4 heures par jour. Pour atteindre l’excellence et satisfaire le public, il faut se donner à fond», nous dit-il. Et l’excellence, Ali Melouk et son groupe l’ont atteinte. Les parodies de BarbeaPapa connaissent un succès retentissent. Sur la toile, et particulièrement les réseaux sociaux, les vidéos de ce groupe d’une cinquantaine d’artistes ont même donné naissance à un nouveau courant musical.
Le fruit d’un rêve
Inaperçu sur les vidéos du groupe, Ali Melouk est pourtant le fondateur et la force motrice de «Barbe à Papa». Son penchant pour la vidéo et la musique y est clairement pour quelque chose. Né le 7 août 1987 dans le quartier populaire de Derb Sultan, à Casablanca, Ali développera une sensibilité artistique remarquable malgré le manque de moyens.
Comme n’importe quel autre adolescent de son époque, le jeune Ali est captivé par les tendances musicales underground, notamment le rap. En 2001, il commence sa carrière en break dance et hip hop, tout en composant des instrumentaux pour un groupe de rap dont il était membre. Mais cette expérience prendra rapidement fin, et Ali décide se concentrer davantage sur sa formation. Après avoir décroché son baccalauréat option littéraire en 2007, il enchaîne avec un diplôme de technicien spécialisé en Audiovisuel, deux ans plus tard.En 2010, il part en France, où il obtient une licence en réalisation cinématographique, développant au passage ses connaissances de manière considérable. De retour au Maroc, Ali voit plus grand.
Les idées fusent dans sa tête et les prémices de «Barbe à Papa» sont déjà là. On est en 2013. Ali décide de prendre les choses en main et propose à ses amis de se lancer dans un projet pour le moins ambi- tieux. «On perdait beaucoup de temps assis dans les terrasses de cafés. Chacun de nous maitrisait un domaine précis, et on a décidé d’en tirer profit».
Ali était l’expert du montage et de la réalisation. Tandis que Mehdi, le DJ du futur groupe, s’orientait vers la production musicale, et Hamza, lauréat des Beaux arts, s’occupait du volet scénographie. Le trio recrute de nouveaux membres par la suite. Et en inconditionnel Otaku, Ali s’inspire de deux personnages de son Manga préféré, One Piece, pour choisir le nom et le logo du nouveau groupe. On est en décembre 2014. Ali peut finalement se réjouir du premier succès de son groupe. Dans sa production intitulée «Yak hadi ghi nti», «Barbe à papa» parodie le titre «Jugen ji», de la célèbre chanteuse indienne Kanika Kapoor.
Le public marocain apprécie le résultat, et la vidéo atteint la barre d’un million de vues après un mois de son lancement. Mais il a fallu attendre la deuxième production du groupe, pour le voir s’imposer sur la scène nationale et même internationale. Sortie en février 2015, la célèbre parodie «Hek lili nifi», dans laquelle BarbeaPapa parodie le titre du groupe nigérian P-square, «Shekini», fascine les internautes. En un mois, la vidéo totalise 8 millions de vues sur Youtube, avant de dépasser le titre original même.
Succes story
Encore une fois, l’imagination d’Ali était, en grande partie, à l’origine de cette réussite. Alors qu’il passait une soirée dans une boîte où Mehdi était dj, ses oreilles captent la chanson du groupe nigérian. Il commence immédiatement à modifier les paroles et à imaginer une version en dialectal marocain. Il sollicitera par la suite l’aide des autres membres du groupe, et chacun ajoutera sa touche personnelle.
Ainsi, ce qui n’était qu’un simple rêve dans la tête du jeune Ali est devenu, à la force du poignet, une véritable success-story. Multipliant les succès, Ali et son groupe sont de plus en plus courtisés et se voient inonder d’offres généreuses. Entre publicités et demandes de placement de produits, la tête pensante de Barbea- Papa se trouve devant un dilemme. Il préfère décliner les propositions, avançant qu’il préfère ne pas céder aux tentations matérielles.
Garder son âme
Il fera d’ailleurs preuve d’un certain sens de leadership en faisant respecter ses décisions par les autres membres. «Mes camarades me font entièrement confiance. J’avais déjà une vision pour le développement de BarbeaPapa, et je ne veux pas que des parties externes influencent notre parcours» Pour lui, son groupe veut que les Marocains apprennent à s’exprimer ouvertement, à donner libre cours à leur imagination et à profiter des joies de la vie, aussi simples soientelles.
Ali se veut ainsi ambassadeur d’un art novateur et émancipateur. Une vision qu’il essaiera de consolider et partager de plus en plus. En effet, le groupe prépare le lancement de plusieurs sites web, ainsi que des projets artistiques. Au menu, cinq titres en collaboration avec des artistes connus, aussi bien sur la scène locale qu’internationale. Parmi les noms figurent P-square et Runtown, déjà parodiés par BarbeaPapa, ainsi que DJ Hmida, DJ Keys, l’Artise, et l’Algérino. Cerise sur la gâteau, un featuring avec une star américaine, dont Ali refuse de révéler le nom pour l’instant.