À peine trois ans après avoir lancé sa série de vidéos intitulée “Moroccan History X”, le youtuber marocain Naoufal Chaara a réussi à attirer des millions de téléspectateurs. Dans cet entretien, ce jeune féru d’Histoire nous parle de sa passion, de ses principes et surtout de ses craintes concernant les actions algériennes visant à travestir l’Histoire du Royaume.
Comment avez-vous eu l’idée de vous lancer dans la création de contenu en ligne?
J’ai toujours été très intéressé par l’Histoire, dès mon enfance, mais l’idée de créer du contenu pour le web m’est venue plus tard avec la pandémie de la Covid. J’ai pensé à transformer mes discussions intimes avec mes amis sur des sujets d’Histoire un contenu public. Et puis il y a avait cette peur de la mort durant cette période-là, et je me disais que ce serait bien de laisser une trace de moi dans ce monde. C’est là que j’ai fait ma première vidéo.
Comment est née cette passion pour l’Histoire justement?
J’étais adolescent dans les années 1990. À l’époque, il n’y avait ni internet ni chaînes satellitaires et je suis issu d’une famille modeste donc je n’avais pas le luxe de voyager durant les vacances. Mais j’avais la bibliothèque personnelle de mon père qui est poète et écrivain. Je dévorais les livres d’Histoire en commençant par l’incontournable Al-Istiqsa (d’Ahmad ibn Khalid al-Nasiri, ndlr), puis tout ce qui porte sur l’Histoire islamique notamment les Califes bien guidés, les Omeyyades, les Abbassides, etc. Et il y a également ce moment spécial qui m’a marqué dans mon enfance.
Parlez-nous en plus...
J’étais élève en 5ème année du primaire. Je me rappelle que le manuel d’Histoire contenait une sorte de trou, un vide, entre les Califes bien guidés et les Omeyyades. Un jour, des camarades de classe ont interrogé notre professeur sur cela, mais le programme ne prévoyait pas de réponse. C’est là que je me suis levé pour leur expliquer ce qui s’est passé durant ce vide, en me basant sur mes lectures à la maison. Le professeur a raconté ce qui s’était passé à mon père et celui-ci est venu m’en parler avec fierté et joie. Je n’oublierai jamais ce moment. Je suis ce que je suis aujourd’hui en grande partie grâce à cela.
Votre série de vidéos “Moroccan History X” connaît un grand succès sur les réseaux sociaux. Comment avez-vous pu vous faire une place dans cet espace qu’on associe beaucoup plus au divertissement et à la légèreté?
Je tiens à préciser que ma première vidéo n’a pas bien marché en termes de vues. Il a fallu attendre la troisième ou la quatrième pour vraiment exploser et me faire connaître auprès d’un large public. C’était grâce à la vidéo que j’ai faite sur le général Dlimi, surtout. Quoi qu’il en soit, mon objectif n’est pas de générer un grand nombre d’interactions. J’estime viser une certaine élite. Ceux qui cherchent un contenu léger sur l’Histoire peuvent voir d’autres créateurs de contenu populistes qui vont leur dire par exemple qu’untel a battu toute une armée à lui tout seul (rire).
Cela pose l’éternelle question de l’objectivité et des sources...
L’approche parfaitement académique et objective, c’est à l’université et autres espaces dédiés qu’il faut aller la chercher. On ne peut pas trouver cela sur les réseaux sociaux, à mon avis. Toutefois, j’estime qu’un créateur de contenu doit faire preuve d’un minimum d’objectivité et de respect des pratiques académiques, surtout quand il s’agit d’Histoire. Je pense par exemple à la question des sources utilisées dans les vidéos.
On remarque que l’intérêt des internautes pour les contenus historiques s’est accentué dernièrement, en réaction aux tentatives algériennes de s’approprier une partie de l’Histoire et du patrimoine marocain. Qu’en pensez-vous?
C’est un problème sérieux. Les opérations de destruction menée par des Algériens contre l’Histoire du Maroc ne sont pas isolées. C’est un travail bien organisée et je sais de quoi je parle.J’ai eu affaire à eux personnellement quand j’ai publié ma vidéo évoquant les populations de Tlemcen qui ont voulu prêter allégeance au sultan marocain. Je me suis fait attaquer par ces mouches électroniques et même par Doumir (youtuber algérien hostile au Maroc, lire Maroc Hebdo n° 1476 du 02 au 08 mars 2023, ndlr). J’ai signalé sa vidéo où il m’insulte et Youtube l’a bloqué. Ces gens-là ne peuvent pas prétendre pouvoir débattre du fond, car ils ne savent pas parler sans insulter et attaquer la personne.
Est-ce que les créateurs de contenu maro- cains comme vous peuvent aider à lutter contre ces tentatives algériennes de réviser l’Histoire?
Non, on ne peut pas faire ça. Un ou 10 Naoufal Chaara ou Amine Aouni ne suffiront jamais à les contrer. C’est un travail de services qu’il faut affronter avec un travail de service de notre coôté aussi. Je vais vous donner un exemple très récent: il y a quelques jours sur Google, la date de création du Maroc a été modifiée. Maintenant on voit que c’est le 7 avril 1956 (avant cette modification, la date était 789, année de l’arrivée d’Idriss Ier, fondateur de la première dynastie musulmane indépendante au Maroc, ndlr). Cette date est fixée sur la base des articles Wikipédia, et pour pouvoir la modifier il faut faire un travail acharné et de longue haleine. Contrairement à ce que beaucoup pensent, les articles Wikipédia sont difficiles à modifier. Cela montre que ces Algériens travaillent depuis des années et de manière organisée et non pas isolée pour infiltrer ces plateformes et appliquer par la suite leurs plans.
Que faire alors?
J’ai constitué un groupe de jeunes pour travailler sur des solutions mais cela n’a pas marché. Après j’ai sollicité le ministère de la Culture, et un de conseillers m’a demandé d’attendre deux mois pour avoir une réponse (rire). Il n’y a eu rien depuis. Le plus grave dans tout cela est que l’intelligence artificielle va nous écrire notre Histoire en ligne dans l’avenir. Et cette intelligence artificielle se base sur les articles de Wikipédia notamment. Il faut que le Maroc se dote en urgence d’une politique officielle dans ce sens avec les moyens qui vont avec.