Algérie, la nouvelle stratégie militaire

GUERGARAT ET SES ENJEUX SÉCURITAIRES

L’Algérie «exportateur de paix» à travers le monde? Il n’y a que la revue de l’ANP, E1 Djeich, qui a soutenu cette version. Un voisin comme le Maroc atteste suffisamment de cette contre-vérité.

Après les derniers évènements à Guergarat et l’échec du mouvement séparatiste ainsi que de l’Algérie, l’on a plus de recul pour mettre à plat les véritables termes de référence de la situation créée dans cette zone tampon entre le Maroc et la Mauritanie. Plusieurs paramètres doivent ainsi être distingués à cet égard. Le premier d’entre eux a trait aux ambitions d’Alger dans le Sahara marocain.

Une nouvelle approche prévaut dans la mesure où l’Algérie considère que la «question sahraouie représente désormais une question souveraine liée principalement à la sécurité de la profondeur stratégique africaine» dans sa région nationale et africaine, selon des sources officielles proches du régime et des généraux.

Une justification qui prête quelque peu à sourire: Guergarat est à 2.100 km… de Tindouf! Divagation de l’establishment militaire, à moins qu’il ne veuille imposer un tutorat sur la Mauritanie... Une projection qui n’est pas virtuelle et qui s’est concrétisée depuis des décennies, en différentes circonstances connues.

Loi suprême
Autre paramètre: opérer une délocalisation d’une partie au moins des camps de Tindouf et des milices armées séparatistes précisément dans cette zone tampon de Guergarat. Le blocage du trafic civil et commercial durant trois semaines était ainsi la première étape; l’installation de «civils» encadrés par des éléments armés, suivant le schéma de Gdim Izik, en novembre 2010; suivis de diverses structures, soit dans des campements, soit dans des constructions pour mettre en avant la fiction d’une «administration» et d’un «Etat» dans cette zone tampon de quelque 4 kilomètres séparant le Maroc de la Mauritanie.

Dans ce même processus, Alger ne se limiterait pas à ce seul aspect; elle pousserait plus loin en implantant une base militaire sur l’Océan Atlantique –un rêve géostratégique de plus d’un demi-siècle. De quoi peser fortement sur la Mauritanie, entraver la politique saharienne et africaine du Royaume et surcoter l’influence et la puissance régionale de l’Algérie.

Mais il y a plus. Référence est faite ici à la volonté d’Alger de se déployer dans des opérations extérieures. Des débats et bien des interrogations ont marqué le projet de Constitution présenté par le président Tebboune, adopté le 1er novembre 2020 par référendum avec 66,80% de oui et 33,20% de non et seulement 23,14% de votants. Aux termes de l’article 91 de cette nouvelle loi suprême, il est prévu de permettre à l’armée algérienne d’intervenir en dehors de ses frontières.

L’envoi de troupes doit être validé «après vote de la majorité du Parlement par les deux tiers de ses membres». Il doit se faire «dans le cadre des Nations Unies, de l’Union africaine, de la Ligue arabe, et dans le plein respect de leurs principes et objectifs de restauration et de maintien de la paix». A s’en tenir à cette formulation, stricto sensu, était-il besoin de consacrer de telles dispositions dans la Constitution? C’est qu’en effet depuis des décennies, l’Algérie a participé à des opérations de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU.

Sécurité régionale
L’Algérie «exportateur de paix» à travers le monde? Il n’y a que la revue de l’ANP, El Djeich, qui a soutenu cette version, voici quelques mois lors de la publication du projet de Constitution. Un voisin comme le Maroc atteste suffisamment de cette contre-vérité, pour ne citer que la Guerre des sables d’octobre 1963 ou les agressions d’Amgala I et Amgala II, en janvier/février 1976. La thèse soutenue officiellement par les portevoix de Tebboune était que la doctrine de l’ANP ne vise que «la constitutionnalisation de la participation de l’Algérie dans le rétablissement de la paix sous l’égide des Nations Unies», mais aussi dans «le cadre des accords bilatéraux avec les Etats concernés».

Quels pourraient-ils être? Une première donnée est fournie à cet égard par le nombre élevé de frontières terrestres de ce pays, partagées avec pas moins de 6 pays voisins (Maroc, Mauritanie, Mali, Niger, Libye, Tunisie, soit respectivement 1.739 km, 461 km, 1.329 km, 951 km, 982 km et 1.010 km, un total de quelque 6.500 km).

La stratégie algérienne s’est ainsi déployée sur trois niveaux: un dispositif de sécurité aux frontières et de restructuration des forces armées; de sécurité des processus bilatéraux variables avec les pays voisins -sauf le Maroc...-; une approche multilatérale à travers l’initiative de ce que l’on appelle les «Pays du champ» (Algérie, Mali, Mauritanie et Niger). Trois principes guidaient cette politique: non ingérence dans les affaires intérieures des Etats; non intervention de l’armée algérienne hors du territoire; enfin, prise en charge endogène de la sécurité régionale et refus de toute intervention extérieure.

Lutte contre le terrorisme
Cette démarche est cependant restée limitée pour de multiples raisons: un environnement évolutif avec des acteurs non-étatiques, les mutations du phénomène terroriste, une forte instabilité du contexte régional, une absence de convergence stratégique dans la région. Et la problématique de la sécurité aux frontières en Algérie a été antérieure aux crises libyennes et maliennes; elle avait commencé en effet au début des années 1990 avec la rébellion touareg au Mali et au Niger; elle s’est ensuite affirmée lors de la décennie suivante avec le discours politique faisant la connexion entre terrorisme, crime organisé et immigration clandestine. La sécurité aux frontières s’est ainsi complexifiée dans une configuration d’activités assimilées au terrorisme et des insécurités générées par des acteurs non-étatiques.

Sur le terrain, l’ANP doit faire face à une situation protéiforme marquée, d’une part, par l’asymétrie et, d’autre part, par le caractère hybride des menaces, mi-politique et mi-criminel. La difficulté qui pèse également a trait au peu de résultat de la coopération avec les pays voisins. Avec le Maroc, le gel est connu depuis des décennies, malgré la main tendue par le Souverain dans son discours du 6 novembre 2018. Au Mali, il y a un interlocuteur officiel mais il ne contrôle qu’une partie du territoire. En Libye, il n’y a pas un seul interlocuteur étatique et il est difficile de faire aboutir un quelconque processus de coopération.

Mais paradoxalement, pourrait-on dire, la frontière entre les deux pays est la moins instable de toutes les frontières maghrébines. Avec la Tunisie, les processus bilatéraux sont les plus opératoires; leur l’expression la plus large est l’accord de sécurité en date du 27 mai 2014 (coordination des actions sur le terrain, coopération opérationnelle, formation spécialisée au profit des cadres militaires tunisiens, ...). Quelque 10.000 hommes des forces conjointes sont ainsi déployés le long de la frontière et ce jusqu’au triangle algéro- libyo-tunisien.

Si la stratégie d’Alger est privée d’une dynamique transversale pouvant favoriser une multilatéralisation des processus bilatéraux c’est qu’elle pâtit des rapports dégradés avec le Maroc mais aussi parce que la situation en Libye n’est pas stabilisée avec deux autorités aux légitimités concurrentes (Tripoli, Tobrouk). Alger a ainsi priorisé ce que l’on a appelé l’Initiative des Pays du champ en 2010-2011. Elle vise à coordonner les efforts en matière de sécurité, de lutte contre le terrorisme et le crime organisé -c’est le premier dispositif de sécurité régionale à dimension opérationnelle. Il est doté d’un comité des états-majors (CEMOC), dont le siège est à Tamanrasset (sud algérien), et d’un mécanisme de partage du renseignement, l’Unité de fusion et de liaison (UFL), à Alger, regroupant désormais huit pays: Algérie, Burkina Faso, Libye, Mali, Mauritanie, Niger, Nigéria et Tchad.

Le principe mis en avant à cet égard est qu’il ne doit pas y avoir d’«alternative viable et efficace» à l’action des pays membres et que les «initiatives des pays extrarégionaux doivent venir en complément et non en substitution». En somme, la doctrine des Pays du champ repose sur le développement des capacités des Etats concernés pour parvenir à la prise en charge des problèmes de sécurité dans la région et ce sans le recours à des acteurs extérieurs. Mais cette initiative n’a pas porté ses fruits, notamment parce qu’elle a été concurrencée et déclassée par d’autres processus régionaux (G5 Sahel,...), mais aussi par la faiblesse d’Etats membres, voire même leur «défaillance» (Mali, Libye). Il n’y a plus aujourd’hui que le processus bilatéral algéro-tunisien qui donne des résultats relativement satisfaisants.

Stratégie préventive
La coopération avec l’OTAN a été initiée en 2010 dans le cadre d’un «Dialogue stratégique». Avec les Etats-Unis, elle s’est améliorée en 2001 particulier depuis les attentats du 11 septembre dans la lutte antiterroriste ainsi que dans d’autres domaines de sécurité. Du point de vue américain, comme l’a déclaré le 23 septembre dernier, à Alger, le général d’armée Stephen Towsend, chef du Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) à l’issue d’une audience avec le président Tebboune, «l’Algérie est un partenaire fiable ... et elle peut jouer un rôle très important pour assurer la sécurité et la paix dans la région».

Quel est finalement l’ennemi extérieur pour l’Algérie? Sur quels terrains opérationnels les militaires algériens pourraient-ils être envoyés? La zone la plus directe reste le Maghreb et le Sahel. Une stratégie préventive va-t-elle être mise en oeuvre avec la constitutionnalisation de l’intervention de l’ANP dans des opérations extérieures? Un accord militaire avec la prétendue «RASD» ne pourrait qu’être considéré par le Maroc comme une grave menace -un casus belli même...

Une stratégie aventuriste recourant a une «fabrication de risques et de mise en risque» opportuniste pour une hiérarchie militaire algérienne et un régime en voie de sinistre. Et de naufrage. Une instabilité majeure puis un risque «frontalier» réel ou supposé instrumentalisé et élevé au rang d’une menace: ce ne serait pas un processus neutre mais l’expression d’intérêts d’acteurs et de décideurs algériens -pas seulement militaires- poussant à infléchir fortement la stratégie de l’Algérie à terme.

Articles similaires