L'Algérie et Guergarat: La tentation aventuriste

L’état des lieux dans le pays voisin mérite que l’on y revienne: il est révélateur d’une situation d’impasse intérieure qui nourrit l’hostilité de plus en plus marquée à l’endroit du Royaume.

Les provocations du mouvement séparatiste à Guergarat, zone tampon du Maroc et de la Mauritanie, remontent à 2016; elles se sont poursuivies en 2017 puis, à intervalles fréquents dans les années suivantes. Jusqu’à ces deux derniers mois et de manière encore plus accentuée depuis le 23 octobre 2020. Il y avait là un agenda lié à la délibération de la question du Sahara marocain par le Conseil de sécurité; elle a été sanctionnée par la résolution 2548 du 30 octobre. Celle-ci a fait droit à la position marocaine, à une large majorité de membres de cette haute instance onusienne, deux pays seulement s’étant abstenus (Russie et Afrique du Sud).

L’échec est patent pour l’Algérie. Le Conseil de sécurité a en effet réitéré sa position sur des points importants: un processus de négociation sur le format des deux tables rondes de Genève (décembre 2018 et mars 2019, avec quatre parties: Maroc, Algérie, Mauritanie et Polisario); une solution de compromis politique réaliste; enfin, prévalence de l’initiative marocaine du 11 avril 2007, continûment qualifiée de projet «sérieux crédible et réaliste». Ce même texte insiste par ailleurs sur l’implication de l’Algérie, citée à cinq reprises, pour apporter son concours à ce processus.

L’Algérie, donc! Toujours! Elle porte le mouvement séparatiste depuis quatre décennies et demie; elle avait accueilli alors en 1973 un groupe de Sahraouis en rupture de ban au Maroc pour leurs idées et leurs menées subversives dans une certaine mouvance d’extrême- gauche autour d’Ila Al Amam et d’autres réseaux. L’occasion était trop belle pour Boumédiène pour ne pas parrainer un tel mouvement anti-marocain derrière le slogan de l’autodétermination du peuple sahraoui. Mais quel peuple? Les camps de Tindouf ont été rapidement mis sur pied pour accueillir toutes sortes de réfugiés, ceux fuyant la sécheresse des pays sahéliens voisins, ceux de l’ex-Rio de Oro sous occupation espagnole, ceux, enfin, qui escomptaient délocaliser leurs activités illicites de trafics de toutes sortes.

L’Algérie encore! C’est l’implication directe de son armée à la fin janvier 1976, à Amgala I, située à 260 km de la frontière ouest algérienne. C’est une bataille militaire entre l’ANP et les FAR qui se solde par une victoire marocaine (200 morts et 106 prisonniers du pays belligérant voisin). Il y aura, trois semaines plus tard, Amgala II, réoccupée par le Maroc quelques mois plus tard. L’Algérie a soutenu alors qu’elle apportait seulement du ravitaillement et de l’aide médicale aux éléments séparatistes.

De fait, il est établi que ce sont des militaires algériens qui étaient sur le théâtre des opérations avec des canons de campagne, des mortiers, des canons anti- aériens, des batteries anti-aériennes et même des missiles SA-6. A la fin 1975, l’on comptait quelque 20.000 personnes ainsi regroupées dans les populations civiles (bédouins, éleveurs) et acheminées à Tindouf pour les présenter à l’ONU comme des «réfugiés » ayant fui les forces marocaines...

L’hostilité au Royaume: voilà bien la clé de lecture des relations conflictuelles d’Alger avec Rabat! Déjà en octobre 1963 -un an après l’indépendance du voisin de l’est- ce fut la Guerre des sables. Le projet maghrébin porté par les trois pays durant la séquence précédente de l’émancipation a avorté; depuis, il n’a pas pu vraiment être réanimé et ravivé. Cet affrontement a été déclenché par Ben Bella et Boumediène. Le premier parce qu’il était confronté à une forte opposition intérieure (soulèvement en Kabylie sous la houlette de Hocine Aït Ahmed, à la tête du nouveau parti FFS, dissidence au Sud avec le colonel Chaâbani,...).

Ben Bella en a profité pour renforcer son pouvoir personnel en démettant Ferhat Abbas, président de la nouvelle Assemblée nationale; en interdisant le PRS de Mohamed Boudiaf, le PCA aussi; et en instituant le FLN comme seul parti légal et national. Pour Boumédiène, alors ministre de la défense, c’était une autre opportunité: celle d’affirmer son autorité sur l’ANP alors que des colonels historiques des wilayas du temps de guerre étaient présents et que les séquelles du coup de force de l’état-major de Ghardimaou contre le GPRA un an auparavant étaient encore prégnantes. L’»union sacrée» contre le Maroc était le mot d’ordre de la propagande. Elle était également instrumentalisée au service d’un tiers-mondisme progressiste qu’a voulu incarner l’Algérie de Ben Bella, puis de Boumédiène et de Bouteflika dans les décennies soixante et soixante-dix.

L’altérité avec le Maroc se déployait aussi sur d’autres terrains de rivalité et d’hostilité. L’Algérie se voulait un contre-modèle par rapport à un Maroc dont la forme de régime était monarchique, dont les options de développement étaient libérales, alors qu’elle proclamait d’abord l’autogestion puis le «socialisme ». Aujourd’hui, quel est le solde? Une Algérie faillie, un système économique sinistré, un Etat entre les mains de mafias militaires et d’affaires, une élite aux postes de décision gérant ses intérêts, ce qui n’exclut pas au passage, diverses formes de purges comme c’est le cas depuis un an.

Sur quoi peut se retrouver l’hypothèse de la cohésion sociale? Pas sur les performances économiques ni sociales du régime depuis près de soixante ans. Pas davantage sur la consolidation de l’Etat de droit, de la démocratie ni des libertés! Pas plus sur un consensus social autour d’un modèle de développement inclusif et équitable! Ne reste que la maintenance et la polarisation sur le Maroc. Le nouveau patron de l’armée, Saïd Chengriha, vient encore, ces joursci, à propos de Guergarat, de qualifier le Maroc «d’ennemi traditionnel».

Il avait déjà recouru à cette même rhétorique en 2016, alors qu’il commandait le Sud-Tindouf. Il avait ainsi qualifié le Sahara marocain de territoire «injustement spolié par le tyrannique occupant Maroc». Et il avait poussé les milices armées du mouvement séparatiste, à la mi-mars de cette même année 2016, à occuper Bir Lahlou et Tifariti, des localités placées sous la supervision de la MINURSO. A cette date, des manoeuvres communes même avaient été effectuées par l’ANP et le Polisario, à quelques kilomètres de la frontière est du Maroc...

L’état des lieux dans le pays voisin mérite que l’on y revienne: il est révélateur d’une situation d’impasse intérieure qui nourrit l’hostilité de plus en plus marquée à l’endroit du Royaume. Une donnée que l’on peut préciser à travers plusieurs éléments. La crise majeure de l’Algérie n’offre pas de piste de solution. La question démocratique est stérilisée -on l’a vu lors de l’élection de Tebboune voici onze mois, puis avec le référendum sur la nouvelle Constitution le 1er novembre courant (40% de Oui, 23% du corps électoral) et le spectre d’une crise économique, sociale et financière conduisant à l’insolvabilité à terme. Le système, en l’état, n’est pas réformable, les dirigeants s’agrippant à des «statuts» et à des rentes de toutes sortes.

L’option aventuriste contre le Maroc estelle à écarter? Elle se cristalliserait non sur des frontières communes partagées de quelque 1.800 km mais autour du point de passage de Guergarat entre le Maroc et la Mauritanie, dans une zone tampon de 3,5 km. L’Algérie ne se présente pas ainsi officiellement et diplomatiquement en «première ligne» sur ce front, mais c’est le mouvement séparatiste qui serait dans l’affichage. L’opération mettrait en cause la réaction du Maroc avec des développements au sein de l’ONU, de son secrétaire général ainsi que d’autres puissances. Un processus d’internationalisation, tentant de rebattre les cartes après les résolutions du Conseil de sécurité -dont la 2548 du 30 octobre. Pour l’heure, peine perdue: le Maroc a su déjouer ce plan et faire montre de retenue. De sagesse. De responsabilité. Et de fermeté.

Une montée des périls n’est pas à exclure d’ailleurs; elle provoquerait une rupture de la paix invoquée par l’Algérie pour dénoncer les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’intervention marocaine pour le rétablissement de la liberté du trafic civil et commercial à Guergarat; elle serait également un facteur de resserrement des rangs au sein de l’ANP et de la hiérarchie militaire après tant de purges, de règlements de comptes, de mises à la retraite et de peines de prison -une opportunité de susciter, autant que faire se peut, un semblant de consensus ou de collégialité.

Enfin, le gel de la dynamique sociale et contestataire en marche dans l’Algérie d’aujourd’hui, avec le hirak du 22 février 2019, qui a conduit au départ de Bouteflika et qui n’a pas fini d’ébranler son successeur, Abdelmajid Tebboune, et les hiérarques, militaires et civils et autres, qui soutiennent cet échafaudage précaire et répressif. Et Guergarat, dans tout cela? Un poste avancé dans la politique d’hostilité fortement opérationnelle de l’Algérie au Maroc, liée à une culture persistante de conflictualité pouvant donner forme et contenu à une tentation aventuriste. Des conséquences imprévisibles, portant atteinte à la paix (relative) et à la sécurité dans cette région...

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