Le régime Tebboune avec son ossature centrale, l’establishment militaire des généraux, peut-il initier et mettre en oeuvre une forte inflexion de sa diplomatie? Une révision globale de la politique étrangère est-elle possible?
L’état des lieux en Algérie? Les perspectives à terme? Un exercice bien aléatoire tant des inconnues et des hypothèques majeures pèsent de plus en plus fortement sur le pays voisin. En somme, le «trou noir»... L’on a affaire, à l’international, aux effets de ce qu’il faut bien appeler l’aventure d’Alger à Guergarat. Celle-ci a en effet cristallisé un lent mais continu processus d’affaissement de la diplomatie depuis des années.
Pareille contraction est sans doute liée à l’AVC du président Bouteflika, en avril 2013; depuis, il ne jouissait plus d’une pleine capacité pour exercer son mandat, lui qui pratiquait au dehors une politique marquée du sceau d’une forte visibilité, personnelle surtout… Il avait, dira-t-on, une carte de visite forgée par les quinze ans au cours desquels il avait dirigé la diplomatie de son pays; elle était d’ailleurs servie par un «activisme» tiers-mondiste au cours de ces années -là (1963-1978) du régime Boumédiène. Au passage, il vaut de noter que c’est sur la base décisive de cet «atout» qu’il a été approché en 1993 pour succéder au président Chadli Benjedid puis, en 1999, a occupé la charge suprême. En même temps, sa désignation aidait -sinon permettait?- d’assurer l’impunité aux généraux devant les juridictions internationales.
Lors du septennat écoulé, la voix de l’Algérie était de plus en plus inaudible -elle n’imprimait pas. Sur les grandes questions internationales, il est difficile d’identifier sa marque ou son rôle. Sur le Proche-Orient et la Palestine? Pas la moindre initiative dans l’optique de la recherche négociée de règlements, de transitions ou encore moins de solutions. Un long chapelet donc: Iran, Syrie, Irak, Yémen, Libye, Palestine,... Même pas des bruits de basse intensité mais pratiquement le silence radio, à part une communication officielle s’apparentant à une figure convenue de rhétorique et de style.
Alors? L’Algérie n’a, au fond, qu’une seule priorité dans le continent et ailleurs: l’hostilité à l’endroit au Royaume. Et celle-ci est cristallisée depuis plus de quatre décennies et demie sur l’affaire de provinces méridionales récupérées en 1975. Ce qui frappe en effet c’est la continuité de cette politique -partout dans toutes les instances, la même rhétorique autour d’un référendum pourtant écarté par la communauté internationale et le Conseil de sécurité depuis près de deux décennies. Un fonds de commerce donc; un capital de conflictualité dont le dernier avatar d’expression n’est autre que Guergarat. Une nouvelle concrétisation qui a fait long feu et qui a illustré l’échec d’une diplomatie algérienne pratiquement en déshérence.
Un péché historique
Ce qui frappe, si besoin était, à cet égard n’est-ce pas l’isolement d’Alger sur la carte internationale? Les éléments de fait concluant à cette évaluation ne manquent pas. Tel le témoignage de l’ancien président tunisien, Moncef Marzouki pour qui il était inadmissible «de sacrifier l’avenir de millions de Maghrébins pour quelques milliers de Sahraouis dans les camps de Tindouf». Ou encore celui d’un ancien ministre mauritanien porte-parole de la présidence, Mohamed Ould Lamine, pour qui «le soutien d’un sixième Etat dans la région maghrébine serait un péché historique». Sans oublier l’opposant algérien, Karim Tabbou, qui fait référence à un «nouvel épisode d’un long feuilleton qui s’appelle Bouteflika...»
Pour ce qui est des réactions internationales, celles-ci ne manquent pas. La victoire militaire des FAR pour mettre fin au blocage du trafic civil et commercial dans la zone tampon de Guergarat est un «sans faute»: aucune victime civile. Sur le terrain diplomatique, c’est également un succès. Pas une puissance mondiale, une semaine après, n’a pris position contre Rabat; pas même la Russie; les capitales mondiales et des organisations internationales (ONU, UE, Ligue arabe) ont exprimé leur soutien à la reprise de la circulation entre le Royaume et l’Afrique subsaharienne.
A noter, dans cette même ligne, celui de la majorité des pays de la Ligue arabe, de l’Union africaine, d’Amérique latine et des Iles Caraïbes. Il faut ajouter l’appel téléphonique du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavarov et de Josep Borrel. Ce dernier, Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a réitéré son soutien à Rabat. Il l’avait déjà exprimé, en différentes circonstances auparavant, en particulier à la fin du mois de septembre dernier en réponse à une question d’un eurodéputé.
Il avait précisé que le soutien de l’UE aux réfugiés de Tindouf était accordé «par pur souci humanitaire» et que «la positon de l’UE sur la question du Sahara marocain est toujours celle-là même affirmée dans la Déclaration commune du 27 juin 2019», à savoir dans la droite ligne des résolutions du Conseil de sécurité.
Une mauvaise équation
Cela dit, un changement de la diplomatie d’Alger est-il envisageable à terme? Dans le plan d’action du gouvernement présenté devant l’Assemblée populaire nationale (APN) -le seul document de référence dans de domaine-, il avait été précisé que l’Algérie adoptera une politique étrangère «dynamique et proactive». Cela vaut dire quoi? Il est indiqué que celle-ci «s’inscrit naturellement» dans le prolongement de la politique de redressement du nouveau chef d’Etat. La fidélité à sa doctrine et aux principes cardinaux est réaffirmée: respect de la souveraineté, de l’indépendance et de l’intégrité des Etats, non -ingérence, bon voisinage,...
Un discours démenti depuis plus de quatre décennies par les positions de l’Algérie par rapport à son voisin de l’Ouest, le Maroc. Un foyer séparatiste dans les camps de Tindouf, un encadrement militaire, des menées hostiles sur le terrain –dont la dernière à Guergarat- et sur la scène internationale avec une mobilisation exceptionnelle de l’appareil diplomatique: voilà les réalités. A-t-on affaire à la défense des intérêts suprêmes de ce pays voisin qui, officiellement, prétend déployer sa diplomatie sous le triptyque «souveraineté, sécurité et développement»?
L’Algérie peut-elle reprendre la main et se repositionner comme puissante régionale? Elle le proclame sans doute, mais il reste la faisabilité de cette orientation. Le non-Maghreb est l’illustration des limites des dynamiques de coopération, d’association et d’intégration dans les ensembles régionaux ou autres. Elle se veut aussi «puissance d’équilibre»: mais sur la base de quelle évaluation conséquente des relations avec ses partenaires stratégiques?
Une évolution des principes stratégiques de l’Algérie est-elle envisageable? Avec le nouvel article 91 de la Constitution du 1er novembre 2020, a été consacré le principe d’une intervention de l’armée hors des frontières. Mais lesquelles? Jusqu’où pourra aller la projection militaire dans la région (Maghreb, Sahel, ...)? En l’état, le régime Tebboune avec son ossature centrale, l’establishment militaire des généraux, peut–il initier et mettre en oeuvre une forte inflexion de sa diplomatie? Une révision globale de la politique étrangère est-elle possible? Des pré-requis doivent être réunis à cet égard: une prise en compte des mutations de la mondialisation et de l’environnement international; une appréhension correcte et pertinente des nouveaux rapports de force; la réarticulation difficile et sensible du multilatéralisme.
Sans oublier ceci: où se jouent désormais la sécurité et le développement? Avec quoi? Avec qui? Ce qui commande une nouvelle culture stratégique et des ressources humaines à la hauteur de ces défis. Le système actuel peut-il se régénérer? Il se trouve en tout cas dans la plus mauvaise équation historique et politique qui soit: une rente d’hydrocarbures en fort déclin; une libération de la dialectique sociale et démocratique avec le hirak du 22 février 2019; une délégitimation des décideurs,… Le temps de l’aventure? Un modèle de développement sinistré.