
Voilà un secret de polichinelle que les services de renseignements algériens s’entêtent à garder sous le boisseau. Le chef des séparatistes du Polisario est malade. Il est même gravement atteint d’un cancer des poumons, ce qui a nécessité un double déplacement pour hospitalisation, d’abord en Italie, puis à Cuba. Les nouvelles qui suintent, de temps à autre, attestent d’un stade avancé de sa tumeur cancéreuse. Mohamed Abdelaziz a ainsi brillé par son absence au dernier congrès de l’Union Africaine, tenu les 14 et 15 juin 2015 à Addis-Abeba. Un rendez-vous qu’il affectionne particulièrement puisqu’il lui donne un attribut d’existence complètement formel. Le fauteuil est resté vide.
Retour aux négociations
Quiconque l’aurait occupé se serait installé de facto en situation de successeur potentiel, alors qu’Alger n’avait pas encore pris de décision sur le sujet. Comme quoi l’état de santé de Mohamed Abdelaziz participe de la stratégie algérienne à propos de l’intégrité territoriale du Maroc, autant qu’à l’égard de toute la région. Qui plus est, cette maladie est à mettre avec celle de Abdelaziz Bouteflika, dont l’indisponibilité durable provoque une réelle vacance de la représentation de l’État en Algérie.
Les deux Abdelaziz alités, mais néanmoins régnant du fond de leurs lits d’hôpital, cela fait beaucoup pour un pays qui prétend à une puissante hégémonie régionale. La question de la succession est donc doublement posée. Pour le moment, les deux cas vont ensemble par un jeu malsain de cause à effet. Même si nous sommes concernés autant par l’un que par l’autre. Notre intérêt ne peut que faire la jonction des deux successions et de leur impact sur notre unité territoriale. Pour le moment, c’est la gestion des camps de Tindouf, au quotidien, qui constitue un objet de préoccupation majeure pour les observateurs les plus crédibles. Depuis 35 ans que cette situation perdure, chacun a pu constater qu’il ne s’agit pas de refugiés libres de leurs mouvements; mais de séquestrés interdits de contact avec le monde extérieur; sous l’oeil vigilant des garde-chiourmes du Polisario. Sous quelque appellation que ce soit, cette population est plus que jamais livrée à elle-même.
Des bribes d’informations parviennent sur de fréquentes manifestations de jeunes contre les conditions de vie draconienne qui leur sont imposées. La grogne s’est aggravée depuis la mise à nu d’un système élaboré de détournement de l’aide humanitaire destinée aux populations des camps. Sous la pression du parlement européen, les donateurs internationaux ont sensiblement réduit leur aide. Le montant accordé par la Belgique est ainsi passé de 51 à 10 millions d’euros; et celui de l’Espagne, de 10 à 7,5 millions d’euros. La même tendance de révision à la baisse a été adoptée par d’autres pays. Ces malversations, reprises et commentées par les médias de par le monde, ont valu à Mohamed Abdelaziz d’être hué et conspué par de jeunes Sahraouis déchaînes, lors de l’ouverture du 7ème congrès de la femme sahraouie, le 3 avril 2015.
Mais la disparition de Mohamed Abdelaziz de la scène publique n’est pas due qu’à la maladie. Elle s’explique surtout par les rumeurs persistantes autour d’une probable acceptation par le chef du Polisario du principe de retour aux négociations sous l’égide de l’ONU, à partir de la proposition marocaine d’autonomie élargie pour le Sahara. Il n’en fallait pas plus pour que M. Abdelaziz et les chioukhs proches de la même inclination soient prestement convoqués à comparaître devant le DRS (Service de renseignement militaire algérien, puis face au Premier ministre, Abdelmalek Sellal, flanqué de son ministre des Affaires étrangères, Ramtane Laâmamra, pour explications.
Guerre larvée et paix armée
Le motif retenu contre ces va-ten guerre devenus objecteurs de conscience, est gravissime: Prise de langue programmée avec l’ennemi et mise en péril des intérêts suprêmes de l’Algérie au Sahara marocain. Du coup, M. Abdelaziz est mis en quarantaine. Désormais, on lui cherche désespérément un successeur. Ceux qui pouvaient prétendre à cette fonction ont été physiquement liquidés par M. Abdelaziz du temps de sa toute puissance. Bien évidemment sur ordre des services algériens ou au moins avec leur accord. Mahfoud Ali Beiba et Fadel Ismaïl ont payé de leur vie les “bonnes moeurs” d’un système dont ils ont participé à la mise en place.
Des chioukhs sont également partis à la recherche de cet oiseau rare capable de conduire à bon port, sur les rivages du Sahara marocain, cette embarcation qui tangue constamment entre guerre larvée et paix armée. Les chioukhs, appartenant principalement à la grande tribu des Rguibat, ont proposé Omar Hadrami, qu’ils voudraient voir nommer conseiller du Roi pour les questions sahariennes, chargé d’engager et de superviser des négociations avec le Polisario. Pour mémoire, Omar Hadrami, de son vrai nom Ali Admi, est membre-fondateur du Polisario, qu’il a quitté en 1989. À l’origine de sa désaffection, son refus de voir le Polisario mis sous la coupe du DRS pour servir la stratégie algérienne sur toute la région du nord-ouest africain.
Pour leur part, les généraux du DRS ont leur candidat à la succession de M. Abdelaziz: Abdelkader Taleb Omar, qui officie actuellement comme Premier ministre de la fontomatique RASD. D’autres prétendants sont en course, parmi lesquels Mohamed Lamine Bouhali, ancien militaire de l’armée algérienne et actuel ministre de la Défense de la RASD. Un raccourci qui illustre bien la vraie nature de ce conflit. Bouhali s’y inscrit tellement bien qu’il appelle chaque fois à la reprise des armes contre le Maroc. Il n’a rien à perdre tant qu’il ne risque pas de devenir lui-même chair à canon dans une guerre ouverte avec son Algérie natale.
Dans le sens inverse de l’Histoire
Qu’il s’agisse de Mohamed Abdelaziz ou de ses successeurs, cette génération, qui a conçu et mis en place le Polisario, pédale dans le sens inverse de la roue de l’Histoire. Ceux qui ont compris ont quitté, à temps, cette nef folle qui vogue vers un nulle part plus qu’improbable. Les autres sont atteints par la limite d’âge, lorsqu’ils ne l’ont pas payé de leur vie, dès leur prime jeunesse, tel El Ouali Mustapha Sayed, lors de l’attaque contre Nouakchott en 1976. Les services algériens l’y ont envoyé en prenant soin d’avertir les autorités mauritaniennes de son arrivée.
Quant aux jeunes qui sont nés sous les tentes, ils n’ont aucune envie d’y faire de vieux os. Ils n’entendent pas n’avoir pour horizon toute leur vie durant que la vaste pierraille de Lahmada. Ceux-là mêmes qui ont sifflé Abdelaziz, siffleront son successeur. En attendant que des gouvernants, un peu plus amènes, prennent les commandes à Alger.