Ahmed Gaïd Salah prêche dans le désert

Le chef de l'armée Algérienne ne sait plus où donner de la tête

En s’entêtant face à la rue, le chef de l’armée algérienne est en train de perdre la bataille, si ce n’est la guerre, comme l’illustre le report des présidentielles, initialement prévues le 4 juillet.

“Une impasse totale”: le quotidien français Le Monde n’a sans doute pas cru si bien dire en dépeignant en ces termes, dans son éditorial du samedi 8 juin 2019, la situation actuelle de l’Algérie et, a fortiori, celle de la junte qui la dirige depuis son indépendance en juillet 1962. Car le pari qu’avait fait le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP) et véritable tireur des ficelles dans le pays, de maintenir le statu quo en organisant des présidentielles le 4 juillet a lamentablement échoué. A la date butoir de dépôt des candidatures, le 25 mai, seuls Abdelhakim Hamadi et Hamid Touahri avaient daigné s’enregistrer auprès de la Cour constitutionnelle, récipiendaire désignée des dossiers: en l’espèce, un vétérinaire et un ingénieur en mécanique aéronautique dont la population algérienne ignore presque tout. Conséquemment, l’élection est désormais reportée sine die. En effet, un scrutin mettant aux prises deux inconnus au bataillon aurait sans doute achevé de décrédibiliser, plus qu’il ne l’est déjà, l’ordre constitutionnel actuel et le système qui en découle aux yeux des Algériens.

D’ailleurs, et ce pour le seizième vendredi de suite, ceux-ci ont investi la rue le 7 juin pour bien faire savoir qu’il n’est d’autre horizon possible, pour eux, en dehors d’une «Algérie libre et démocratique» -slogan repris en choeur par les manifestants. Pour utiliser un jargon qu’il connaît bien, M. Gaïd Salah semble en fait avoir brûlé ses dernières cartouches en espérant avoir la population à l’usure, ce dont cette dernière donne l’impression d’être prémunie. Ses sorties, où il appelle les Algériens à mettre l’intérêt de l’Algérie «au-dessus de toute considération», ne convainquent plus personne, si tant est qu’elles aient trouvé, par le passé, des oreilles réceptives.

Une vraie rupture
C’est une vraie rupture qu’il devra, en tout état de cause, opérer pour trouver une solution et, surtout, éviter d’envenimer les choses et ainsi risquer une deuxième guerre civile après celle qui avait déchiré le pays pendant les années 1990 et qui bien que terminée depuis près de dix-sept ans (en février 2002) n’en continue pas moins de hanter les mémoires.

Cependant que M. Gaïd Salah en semble incapable et en est sans doute incapable, étant lui-même, en dernière analyse, une partie du problème, si ce n’est sa principale source. Pour s’en assurer, il suffit de s’attarder sur l’éditorial du dernier numéro, paru le 7 juin, de la revue El Djeich, porte-voix officiel de l’ANP, où il est encore question d’organiser des présidentielles «dans les plus brefs délais ». Ce qui veut dire encore le maintien de la voie constitutionnelle. Pas sûr qu’ainsi les Algériens soient amenés à retrouver leurs maisons.

Un discours «enfumatoire»
D’un autre côté, certains voient un motif d’espoir dans le discours prononcé, le 6 juin, par Abdelkader Bensalah, président par intérim de l’Algérie au titre de ses fonctions de président du Sénat -première chambre du parlement-, et qui appelle au dialogue avec la classe politique, la société civile et ce qu’il a appelé les personnalités patriotiques nationales. «Je réitère mon appel à toutes les parties concernées à participer au processus consensuel et à faire prévaloir la sagesse et l’intérêt du peuple, tant dans leurs débats que dans leurs revendications,» a-t-il dit. Qui plus est, le concerné fait partie avec le Premier ministre Noureddine Bedoui, un technocrate proche de la fratrie de l’ancien président, des «3B» tant vomis par les Algériens et dont le troisième larron, Tayeb Belaiz, avait été poussé vers la sortie le 16 avril en raison de son absence d’initiative pour empêcher M. Bouteflika. Par la voix de la presse algérienne, la société civile a d’ailleurs massivement rejeté l’appel de M. Bensalah.

Ce dernier semble continuer, toutefois, de bénéficier de l’appui de M. Gaïd Salah, à rebours de nombreux anciens fidèles de M. Bouteflika, tel ultimement l’homme d’affaires Mahieddine Tahkout, jeté en prison dans la journée du 9 juin dans le cadre de l’opération «mains propres» que le chef de l’ANP affirme conduire et qui a déjà fait tomber, le 4 mai, le frère cadet et ancien conseiller de M. Bouteflika, Saïd Bouteflika, ainsi que le général Toufik, ancien patron du Département de renseignement et de sécurité (DRS), principal service de renseignement militaire jusqu’à son démantèlement en octobre 2015. Etonnamment, cette opération épargne les actuels responsables de l’armée, prompte à tremper dans la foultitude de scandales financiers qui éclaboussent l’Etat algérien depuis près de six décennies.

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