
Il y a des recherches universitaires, même étalées dans le temps, qui vont à la rencontre d’un factuel de grand impact sur le présent. L’Afrique, nous y retournons, sans l’avoir jamais quittée. La recherche nous rappelle qu’elle est une partie constituante de notre référentiel spirituel. L’ouvrage en question est de cet ordre; ainsi que le travail qui va avec en terme d’observation, de mise en rapport, d’investigation documentaire, d’analyse et de déduction.
Le titre du livre de Johara Berriane situe d’emblée le sujet et ses contours: Ahmed al-Tijani de Fès. Un sanctuaire soufi aux connexions transnationales, éditions L’Harmattan-2016. Une thèse de doctorat soutenue à l’université de Berlin. Elle porte sur les pratiques, les représentations et les enjeux autour d’un sanctuaire pas comme les autres. Contrairement à ce qu’on pouvait penser, sa délocalisation a non seulement résisté à l’effet du temps, mais elle a produit un soufisme et une sainteté avec un fort cachet africain.
«La zaouia, écrit-elle, est un lieu soufi qui est pratiqué et utilisé par des groupes aux profils socio-économiques très divers. Elle n’est pas –comme cela fut souvent postulé au sujet des sanctuaires– le refuge des seuls groupes défavorisés ou marginalisés de la ville qui se fabriqueraient un contre-modèle religieux pour fuir leur précarité». C’est précisément à cette enseigne que la lame de fond spirituelle et l’événementiel du moment se retrouvent dans un continuum de longue durée. Sans forcément prendre rendez-vous, mais par la seule endurance à l’existence.
Aujourd’hui, l’Afrique est plus que jamais dans notre agenda politique; elle l’est aussi dans les manifestations d’une profonde spiritualité qui enjambe les frontières. Partant de cette réalité, l’auteur élargit le débat, sans quitter le pivot de sa réflexion, la zaouia tijania.
«Cette zaouia et la vie relationnelle qui s’organise autour d’elle forment, ensuite, un noeud qui connecte la ville de Fès, puis le Maroc, à l’Afrique de l’Ouest… Elle constitue un enjeu important pour l’intégration régionale du Maroc à l’ensemble du continent africain». L’auteur s’interroge sur l’actualité du soufisme et du culte des saints au Maroc. Elle en déduit que «la valorisation de l’Islam soufi et de la sainteté s’appuient sur une politique d’encouragement du culte des saints, destinée à consolider la légitimation religieuse de la monarchie marocaine »