"Afrotopia" de Felwine Sarr traduction en arabe de Nour Eddine Dirar

De quelle manière l’Afrique doit se positionner dans le monde


L’auteur pose les conditions de la « régénération » à partir de la culture

«Afrotopia», est de ces rares essais passionnants qui opèrent une véritable décolonisation conceptuelle et appellent à une réinvention de soi du continent africain. 1Professeur d’économie à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis-du-Sénégal, Felwine Sarr livre dans Afrotopia une réflexion sur la manière dont l’Afrique doit se repositionner dans le monde à partir d’un projet et d’une vision propres à ses spécificités. En douze chapitres qui mêlent des références économiques, philosophiques et culturelles, l’auteur pose l’enjeu de la «réflexion prospective» en définissant l’Afrotopia comme «une utopie active qui se donne pour tâche de débusquer dans le réel africain les vastes espaces du possible et les féconder».

Felwine Sarr invite les Africains à penser «contre la marée», à prendre à rebours des concepts et des idéologies développementalistes dont «les indicateurs liés aux conditions de vie, ne disent rien sur la vie elle-même». Sarr rappelle plus que jamais «l’exigence d’une absolue souveraineté intellectuelle» pour que l’Afrique puisse donner sa «proposition de la modernité» dans le cadre des «modernités alternatives».


Felwine Sarr insiste sur le rapport mimétique des Africains à l’Europe, rapport lié à une histoire coloniale encore active. Il en est ainsi de cette «afrocontemporanéité» définie comme «ce temps présent, ce continuum psychologique du vécu des Africains, incorporant son passé et gros de son futur qu’il s’agit de penser ». Mettre une pensée autonome au service de la réalisation des politiques publiques est donc nécessaire pour que l’Afrique se réapproprie ses espaces politiques, ses ressources économiques et ses références culturelles. Penser le continent africain est une tâche ardue tant sont tenaces poncifs, clichés, et pseudo-certitudes, nous dit, à juste titre, Edwine Sarr.

Depuis les années 1960, à l’aube des indépendances, la vulgate afro pessimiste a qualifié l’Afrique de continent «mal parti «, «à la dérive «. Plus récemment, une rhétorique de l’euphorie et de l’optimisme a vu le jour. Le futur serait désormais africain. Le continent réalise des progrès en termes de croissance économique et les perspectives y sont bonnes. La disponibilité de ressources naturelles et des matières premières aidant, le continent africain serait le futur eldorado du capitalisme mondial. Là aussi, ce sont les rêves produits par d’autres qui s’expriment.

Penser l’Afrique, nous dit l’auteur, «c’est débroussailler une forêt dense et touffue, c’est redéfinir la vie autrement que sous le mode de la quantité et de l’avidité. En ces temps de crise de sens d’une civilisation technicienne ne sachant plus où donner de la tête, le défi consiste alors à scruter le politique, l’économique, le social, le symbolique, la créativité artistique. Il consiste également à penser un projet de civilisation qui met l’homme au coeur de ses préoccupations en proposant un meilleur équilibre entre les ordres économique, culturel et spirituel.

La lecture d’Afrotopia de Felwine Sarr réactive, ainsi, des réflexions anciennes à un moment où l’Afrique, si elle veut quitter le champ de l’utopie et restaurer sa conscience historique, n’a plus d’autre choix que d’arrêter de confier son destin aux autres et de construire ses propres alternatives.

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