Achraf Hassan Tarsim: "Nous soutiendrons la mise en oeuvre des priorités du nouveau modèle de développement"

Entretien avec Achraf Hassan Tarsim, Représentant de la Banque africaine de développement au Maroc

Nommé à ce poste en mars 2021, Achraf Tarsim, de nationalité tunisienne, a occupé plusieurs postes de responsabilité au sein de la Banque africaine de développement et est un fin connaisseur de la région de l’Afrique du Nord et notamment du Maroc, où il a participé au lancement de plusieurs projets structurants. Dans cette interview exclusive, il nous livre les raisons du soutien financier de projets sectoriels à fort impact socio-économique et sa propre vision du nouveau modèle de développement du Royaume.

Vous venez d’approuver 120 millions d’euros en faveur du Maroc. Objectif: mettre en oeuvre le Programme d’appui à l’inclusion financière, à l’entreprenariat et aux très petites et moyennes entreprises (TPME). Pourriez-vous en expliquer les objectifs et les résultats attendus?
Relancer et inclure: ce sont nos deux priorités pour cette nouvelle opération. Concrètement, elle permettra de redynamiser l’activité, de protéger les emplois et de relancer la croissance. Nous sommes aux côtés des jeunes et des femmes entrepreneurs et des très petites et moyennes entreprises (TPME), qui jouent un rôle incontestable dans la dynamique de relance avec plus de 70% des emplois créés. Nous voulons renforcer la dynamique d’inclusion financière des entreprises. Notre principal objectif est d’aider les TPME en difficulté à redémarrer leur activité et à protéger les emplois pour réussir la sortie de crise. Nous appuierons, dans cette perspective, les réformes en matière d’inclusion financière afin de faciliter l’accès au financement pour les ménages et les TPME.

La finalité est de contribuer à diversifier les instruments de financements pour qu’ils soient le plus en adéquation possible avec les besoins spécifiques des TPME. L’entreprenariat est aussi au centre de ce nouveau programme. Nous contribuerons ainsi à renforcer le dispositif de soutien aux entrepreneurs, aux start-ups et aux TPME. Nous soutiendrons l’écosystème d’appui à l’entrepreneuriat et favoriserons l’amélioration du climat des affaires en incitant à la simplification des procédures administratives. Chacune de nos interventions doit répondre à deux critères clés: l’inclusion et l’intégration. En l’occurrence, pour celle-ci, il ne suffit pas seulement de faciliter le financement des TPME, il est aussi important de les accompagner et de simplifier l’environnement dans lequel elles évoluent.

Ce projet, parmi d’autres, n’est que le reflet de l’excellence de notre relation avec le Royaume du Maroc. C’est un partenariat d’exception qui nous unit depuis plus d’un demi-siècle. Nous avons mobilisé 12 milliards de dollars pour plus de 170 projets et programmes, et les résultats sont au rendez-vous. Sur la dernière décennie, 8,5 millions de personnes ont bénéficié de meilleurs services de santé; 3,5 millions ont profité d’un accès amélioré à l’eau potable et à l’assainissement; 7 millions ont été raccordées au réseau électrique et 16 millions ont bénéficié d’un meilleur accès aux infrastructures de transport. Nous voulons porter cette relation encore plus loin. Nous voulons la faire prospérer pour accompagner le Maroc dans sa trajectoire d’émergence et de progrès. Nous en sommes particulièrement fiers.

Vous avez aussi approuvé la décision de contribuer significativement, aux côtés de la Banque mondiale et de l’Agence française de développement, au financement d’un programme d’appui au développement inclusif et durable des zones agricoles et rurales (PADIDZAR), s’étalant sur la période 2021-2026, dans le cadre du Plan Génération Green. Quelles opportunités avez-vous vu dans ce programme en particulier et dans le plan sectoriel en général?
L’opportunité de soutenir une agriculture plus moderne avec une manière de faire qui porte en elle l’exigence, encore plus forte, d’inclusion, de performance et de durabilité. Il s’agit du premier financement axé sur les résultats pour la Banque africaine de développement dans le secteur agricole en Afrique du Nord. Nous voulons contribuer à la réalisation de la nouvelle stratégie agricole Génération Green 2020-2030.

Ce nouveau maillon de notre partenariat vient jalonner, sur plus d’une décennie, le parcours d’une coopération réussie. Nous avons contribué à faire évoluer le secteur agricole d’une logique de production à une logique de transformation, qui introduit une plus grande valeur ajoutée avec davantage d’inclusion. Il s’agit aussi d’un véritable projet d’adaptation climatique qui vient concrétiser les engagements du Royaume en la matière. Face aux effets du changement climatique, nous voulons contribuer à renforcer la résilience de l’agriculture, en particulier pour les petits producteurs.

Nous soutiendrons une utilisation plus efficiente des ressources en eau, en valorisant mieux l’eau d’irrigation et en introduisant de nouvelles techniques de conversion du sol. Sur un autre plan, nous appuierons le développement de systèmes de production plus efficients, plus résilients et plus durables. Nous oeuvrerons à l’amélioration des chaînes de valeur pour qu’elles soient plus inclusives, plus performantes et plus pérennes. Nous soutiendrons le renforcement des capacités des acteurs, notamment les associations des usagers des eaux agricoles et les coopératives agricoles. L’approche de développement se veut plus inclusive par la création d’emplois ruraux et l’accompagnement de jeunes et de femmes entrepreneurs agricoles. Elle permettra de favoriser l’émergence d’une classe moyenne.

Vous avez eu des discussions avec des membres du nouveau gouvernement. Que pensez-vous de la vision gouvernementale à court et à moyen termes?
Ce modèle de développement est un nouveau cap que nous soutiendrons. Il incarne la vision ambitieuse que porte Sa Majesté le Roi Mohammed VI pour consolider les bases d’une croissance durable et inclusive, qui bénéficiera au Maroc et aux Marocains.

Pour incarner ce nouveau modèle de développement, nous interviendrons sur des thématiques de première importance telles que l’eau, l’agriculture, l’inclusion sociale, le capital humain, les infrastructures ou encore l’efficacité énergétique. L’objectif est d’approfondir l’excellent partenariat qui nous lie au Royaume du Maroc. Nous le ferons en initiant des projets et programmes à fort potentiel d’impact sur les territoires et les populations.

Au nom de la Banque africaine de développement, je voudrais saluer le triple succès électoral du 8 septembre dernier. C’est une réussite démocratique qui s’ajoute à d’autres, en l’occurrence les différents chantiers de développement symboles de l’émergence du Maroc. Sous la conduite de S.M. le Roi Mohammed VI, le Maroc est un pays modèle, dans bien des domaines, pour le continent.

Nous saluons sa vision éclairée, sa forte ambition et ses résultats. Nos voeux de plein succès vont également au nouveau gouvernement. Notre priorité est de soutenir la mise en oeuvre du nouveau modèle de développement du Maroc. Lors de nos rencontres avec les membres du gouvernement, nous avons réaffirmé l’engagement du Groupe de la Banque africaine de développement à soutenir la mise en oeuvre des priorités du nouveau modèle de développement.

Quel est justement votre objectif principal?
Notre premier objectif sera de consolider la résilience et de promouvoir la relance économique. À ce titre, je souhaite rappeler l’appui de la Banque africaine de développement à la riposte sanitaire et économique du Maroc avec un financement rapidement déployé dès le début de la pandémie de Covid-19. La seconde priorité sera de soutenir davantage la généralisation de la couverture médicale, comme nous l’avons fait depuis plus de 15 ans à travers des appuis de plusieurs centaines de millions d’euros. Nous accompagnerons également la transition écologique en accentuant le développement des infrastructures d’énergie, notamment renouvelables, ainsi que les infrastructures d’eau et d’assainissement. Il s’agit d’inclure et de renforcer l’attractivité des territoires qui bénéficieront aussi de notre appui pour une agriculture moderne, durable et résiliente, capable de créer plus de valeur ajoutée, de réduire son empreinte carbone et de créer des emplois durables en milieu rural.

Pour renforcer la compétitivité du Maroc et en faire un hub régional, nous continuerons d’appuyer la modernisation des infrastructures de transport, tous modes confondus -aéroportuaire, ferroviaire et portuaire- et nous renforcerons les chaînes de valeur en soutenant l’augmentation de l’offre exportable du pays, en capacité mais aussi en gamme. Dans bien des domaines, le Maroc est un modèle à suivre.

Afin de renforcer davantage la coopération Sud-Sud, nous travaillerons à favoriser le partage d’expérience avec le continent. Les domaines sont multiples: l’agriculture, l’eau, les énergies renouvelables ou encore les transports, entre autres. Nous souhaitons aussi faire bénéficier les opérateurs économiques marocains de notre forte présence sur l’ensemble du continent ainsi que de notre connaissance des opportunités d’affaires en Afrique. Nous allons les accompagner à investir de nouveaux marchés africains. La Zone de libre-échange continentale africaine constitue une formidable opportunité à cet égard, et les entreprises marocaines, tout comme les opérateurs logistiques, seront des acteurs majeurs dans cette nouvelle dynamique. Il est important de s’y préparer.

La crise sanitaire a eu des effets négatifs sur les économies du monde, dont celle du Maroc. Quel est le degré de confiance de la BAD dans l’économie marocaine et sa capacité à assurer sa relance après deux années difficiles?
Après la récession économique de 2020, le rebond de la croissance économique du Royaume du Maroc est confirmé en 2021, avec un taux de croissance estimé à 5,8%. Cette reprise est liée à une bonne saison agricole ainsi qu’au retour des activités industrielles et du tourisme estival. Avec la reprise, les exportations du Maroc ont affiché de très bonnes performances, particulièrement dans les secteurs de l’automobile, de l’électronique et de l’électricité ainsi que dans le textile et l’aéronautique. Néanmoins, la trajectoire économique favorable pourrait se ralentir en 2022, avec une croissance projetée aux alentours de 3%, en raison de l’émergence du nouveau variant Omicron du Covid-19.

Cette nouvelle évolution de la pandémie a entraîné la fermeture des frontières du Royaume fin novembre 2021 et pourrait entraîner des dépenses publiques de santé supplémentaires et une réduction des activités économiques, surtout si les principaux partenaires commerciaux sont fortement touchés. Ceci dit, le Maroc a démontré, depuis le début de la pandémie, une impressionnante réactivité avec la mise en place de politiques macroéconomiques appropriées et les moyens financiers nécessaires pour limiter la crise et assurer les meilleures conditions de reprise. De plus, à la suite de la campagne de vaccination massive, le Maroc évitera très certainement un nouveau confinement de sa population, ce qui permettra la continuité des activités productives. Nous prévoyons la résilience de l’économie marocaine à ce nouveau variant. Nous attendons de bonnes performances économiques à court terme.

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