Abdelghani Erraki: "La faillite de l'enseignement au Maroc arrange les lobbies"

Secrétaire général du Syndicat national de l’enseignement, affilié à la Confédération démocratique du travail (CDT)

Depuis l’indépendance du Maroc, le pays peine encore à assurer une éducation et un enseignement fiable et de qualité. Dans cet entretien sans langue de bois, le syndicaliste Abdelghani Erraki s’insurge sur cette situation calamiteuse qui arrange des lobbies des écoles privées, selon lui.

La pandémie du Covid-19 a remis sur la table l’épineux dossier relatif à la mauvaise gouvernance du système d’éducation au Maroc. En tant que principal syndicat d’enseignants au Maroc, quelle lecture faites-vous des polémiques qui sont apparues cette année concernant les écoles privées?
Cette crise et les polémiques qui l’ont suivie concernant l’enseignement privé nous rappellent notre triste réalité. L’Etat a délaissé ce service, ou ce droit, à des lobbies privés, sans en assurer le contrôle nécessaire. Ces lobbies qui profitent des largesses de l’Etat et exploitent un secteur très lucratif ont d’ailleurs osé demander, les premiers et dès le début de la crise, des aides de l’Etat. Ce que nous vivons actuellement est le résultat d’une politique de privatisation sauvage qui profite à certaines personnes, avec la complicité de l’Etat.

En 15 ans, le nombre d’étudiants dans les écoles privées est passé de 4% à 15 ou 16%. C’est énorme. Si on continue sur cette tendance, d’ici 30 ans, la majorité des établissements d’enseignement seront privés. On est en train de tuer le service public.

L’Etat est-il vraiment complice de cette marchandisation de l’enseignement? Quel bénéfice peut tirer un pays en tuant l’enseignement public, sachant que c’est de l’humain et de son éducation qu’il s’agit?
L’Etat est le premier responsable de cette marchandisation de l’enseignement. L’Etat doit assumer ses responsabilités. Ce n’est pas moi que le dis, mais le gouvernement lui-même. Les déclarations de Abdelilah Benkirane ou de Lahcen Daoudi confirment cet état de fait d’un mouvement néolibéral qui est certes omniprésent dans le monde, mais qui évolue à une vitesse fulgurante au Maroc. D’ailleurs, au sein du parti islamiste PJD, de nombreux cadres sont de grands investisseurs dans le secteur, à commencer par Abdelilah Benkirane lui-même.

L’abandon de l’enseignement public est un choix politique que le Maroc a entamé déjà dans les années 80. Rappelez-vous, le discours du ministre de l’enseignement Azeddine Iraqi, devenu Premier ministre par la suite. Il a bien dit que l’éducation et l’enseignement coûtent cher au Maroc, du coup ils ont fait appel au secteur privé pour les aider à supporter ce «fardeau», selon eux.

Pourtant, plusieurs réformes ont été entamées depuis plusieurs années…
De 1956 à aujourd’hui, le Maroc a entamé 13 réformes de l’enseignement. Elles se sont toutes soldées par des échecs. 60 ans après notre indépendance, près de 30% des Marocains sont analphabètes et 400.000 élèves quittent l’école. Toutes les politiques ont échoué.

Vous savez pourquoi? C’est simple. On ne veut pas réformer. Il y a dans le pays, certains qui ne veulent pas que les Marocains étudient, certains qui veulent que la situation demeure comme elle est, car ça les arrange.

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