Abdelfattah El Belamachi: "Le Maroc donne à l'Espagne, à l'Allemagne et à l'UE plus qu'il n'en reçoit"

Entretien avec Abdelfattah El Belamachi, professeur des relations internationales à l’université Cadi Ayyad de Marrakech

A travers ses réactions diplomatiques fermes à l’encontre de l’Espagne et de l’Allemagne, le Maroc veut une révision de ses relations avec ces deux pays et, par-delà, avec l’Union européenne. Les explications de Abdelfattah Belamachi, président du Centre marocain de la diplomatie parallèle et du dialogue des civilisations.

Comment qualifiez-vous les réactions de la diplomatie marocaine, voire du Maroc, à l’égard de l’Allemagne et de l’Espagne?
D’abord, les deux communiqués sont de la même veine, si j’ose dire. Deux documents qui mettent les points sur les i en direction de ces deux grandes puissances européennes. Mais, pour ce qui est des raisons, elles sont spécifiques pour chacun des deux pays. Je commence par l’Allemagne. Ce pays a toujours eu des positions pas très nettes au sujet des questions revêtant un intérêt pour le Maroc.

Il y a eu le sommet de Berlin sur la Libye et auquel le Maroc n’a pas été convié alors qu’il était, et est toujours, un acteur clé dans la recherche de solutions à la crise libyenne. Pourquoi l’Allemagne a jugé bon de se passer du Maroc? Il y a la position de l’Allemagne après la reconnaissance par Donald Trump de la marocanité du Sahara. Berlin est allé jusqu’à appeler à une réunion du Conseil de sécurité pour évaluer cette reconnaissance et prendre la décision appropriée.

Peine perdue, mais, on l’a compris, ce pays a choisi son camp, celui des ennemis de l’intégrité territoriale du Maroc. Sans parler du comportement inadmissible dans les relations bilatérales, à savoir filer des informations sensibles reçues de la part des services de renseignement marocains à un ancien condamné pour actes de terrorisme. Le Maroc ne pouvait que réagir fermement mais graduellement.

C’est-à-dire?
D’abord, le 1er mars 2021, il y a eu l’interdiction de tout contact avec les ONG allemandes agissant au Maroc, suivi de d’autres démarches et enfin le rappel de l’ambassadrice du Maroc en Allemagne pour consultations. C’était le 6 mai 2021. L’objectif étant qu’aussi bien l’opinion publique nationale et internationale que l’administration allemande comprennent la position du Maroc et sachent que ce dernier ne compte plus se laisser faire.

Et quelle approche a été adoptée avec l’Espagne?
Avec l’Espagne, c’est une autre logique, liée beaucoup plus à l’histoire commune entre les deux pays. Jusqu’à aujourd’hui encore, l’Espagne se comporte comme une puissance impérialiste avec le Maroc et principalement avec les habitants des provinces du sud. Dans ces provinces, Madrid agit comme du temps du protectorat. Elle veut avoir son mot à dire même dans les projets de développement que l’Etat marocain lance sur place.

Il y a encore aujourd’hui des résolutions du parlement espagnol concernant le Sahara marocain comme si l’Espagne colonisait encore la région. Les déclarations provocantes des hommes politiques espagnols sur le Sahara ne peuvent laisser indifférents. La crise entre les deux pays couve depuis des mois. La preuve est que la haute commission mixte a été reportée plus d’une fois…Le Maroc a diversifié ses partenaires économiques (la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil...) et joue un rôle important dans le continent africain, notamment. Cela dérange énormément l’Espagne qui craint pour ses intérêts dans la région.

Donc, l’hospitalisation du chef du Polisario dans un hôpital espagnol n’est que la goutte qui a fait déborder le vase?
C’est plutôt un problème en plus que la diplomatie marocaine ne pouvait en aucun cas passer sous silence. Brahim Ghali a usurpé une identité pour se faire admettre dans un hôpital près de Saragosse. Une région agricole bien encadrée sur le plan sécuritaire. L’administration espagnole, ou du moins certaines de ses composantes étaient au courant pour ne pas dire complice de ce mic-mac. Le dernier communiqué du ministère des Affaires étrangères sur le sujet a été clair même si à mon avis le langage était tempéré.

D’après vous, comment peut évoluer la situation avec les deux pays?
Dans les deux cas, le Maroc n’a pas pris de décision, comme la rupture des relations diplomatiques ou l’arrêt de la coopération économique. Il s’agit plutôt d’une prise de position ferme pour une révision conséquente des relations avec ces deux pays et, au-delà, tout l’espace européen. Le Maroc a besoin de réponses claires concernant ses dossiers prioritaires comme le Sahara ou le développement économique du pays. Le Maroc donne à ces deux pays et à l’Union européenne plus qu’il n’en reçoit. Le Maroc estime qu’il joue un rôle stratégique pour toute l’UE que ce soit en matière d’immigration, de lutte contre le terrorisme…

Le comportement de l’UE à son égard doit prendre cet apport du Maroc en considération. Il doit être respecté, bien vu et non pas considéré comme un pays du Sud demandant de l’aide. Les relations internationales c’est un package, un tout. On ne peut pas prendre que ce qui nous arrange et jeter le reste. C’est ce message que le Maroc a fait passer à l’UE à travers cette double crise avec l’Espagne et l’Allemagne. Le Maroc ne cherche pas l’escalade mais à apprendre aux autres comment se comporter dorénavant avec lui.

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