Des étudiants en médecine en grève, avec un seau d’eau et des Kleenex en train de laver des voitures pour 10 dh, ça surprend, ça fait rire et ça fait prendre conscience, par ces temps où l’argent est devenu la raison d’être, que l’école n’est plus cet ascenseur social qui tirait jadis les fils du peuple de la pauvreté. Cela me conforte aussi dans l’orientation du choix forcé de ma progéniture, qui voulait faire médecine, vers les écoles commerciales.
Pour comprendre les revendications de ces «buzzeurs» laveurs de voitures, il faut suivre leur parcours d’étudiant. Une fois le BAC obtenu avec mention très bien (ce que la plupart des députés qui vont décider de leurs sorts n’ont pas) et après une dure sélection, les voilà sur les bancs de la faculté de médecine pour les 2 ans d’un 1er cycle où ils doivent avaler des tonnes de connaissances. Après un examen satisfaisant, ils intègrent un 2ème cycle de 3 ans. Au cours de ce trip triennal, ils sont de service à l’hôpital le matin, en classe l’après-midi et de garde le soir. Pour cet exercice professionnel, l’État leur verse la faramineuse bourse de 110 dh par mois! Une manne de mécontentement.
Au bout de la 5ème année, notre futur médecin passe un concours d’internat. S’il réussit, il suit un circuit de spécialisation, sinon il continue normalement sa voie de médecin généraliste. À la 6ème et 7ème année, l’interne en spécialisation est rétribué 3.500 dh par mois. Le généraliste, lui, est payé 160 dh la sixième année et 900 dh par mois la septième. Après le doctorat, ils sont tous les deux docteurs en médecine. Pour les spécialistes, les études ne sont pas terminées. Ils doivent trimer encore pendant 4 à 6 ans avant d’arriver à la fin du tunnel pour percevoir un salaire de 8.700 dh par mois sous contrat de 8 années de travail avec l’État ou 3.500 dh/ mois sans contrat.
C’est ici que va débarquer Houssaine El Ouardi, ministre PPS de la Santé. Il voudrait imposer aux lauréats sortants un S.S.O (Service Sanitaire Obligatoire) pour lequel les étudiants ont lancé un S.O.S (Save Our Ship) de détresse. Deux années supplémentaires de service obligatoire pour soigner la population des régions et des bourgs désenclavés du pays sans statut de fonctionnaire, sans bénéfice de retraite et sans couverture maladie adéquate. En outre, l’affectation de ces prolos de la médecine se fera dans des hôpitaux encore plus enclavés que leurs bourgs poussiéreux où les équipements, les outils, les médicaments et les auxiliaires sont absents depuis belle lurette.
Ce n’est certes pas le lieu idéal pour acquérir un savoir-faire ou parfaire son expérience de praticien. A la fin des 13 années d’études et des 2 années de branle, le docteur en herbe desséchée est livré au marché des sans-travail à la férocité des nouveaux capitalistes ogres de la médecine et propriétaires des cliniques privées: Prends 10.000/mois ou tire-toi, des comme toi, il y en a des centaines qui traînent dans la rue.
Certes, l’intention, bien que populiste, est honorable mais la mariée du bourg n’est pas belle d’autant qu’il faut se la taper de force. Selon certains, M. El Ouardi n’est plus l’avenant Doyen aimé de tous qu’il était. Depuis qu’il est Ministre de la Santé, il s’est mis toute la profession à dos. Les étudiants manquaient au tableau de chasse, c’est maintenant chose faite.