Le régime algérien n’est pas réformable et ne peut que s’installer dans la gestion d’un statu quo qui donne une image dramatique du pays.
Pour un suspense, c’est raté ! Abdelaziz Bouteflika est donc de nouveau candidat pour briguer un cinquième mandat présidentiel, le 18 avril 2019. L’annonce officielle en a été faite, dimanche 10 février, par un communiqué de la présidence. Qui attendait autre chose? Assurément personne! C’est qu’en effet, des semaines durant, les soutiens de M. Bouteflika s’échinaient à déclarer qu’il était bien «leur candidat». La veille, lors d’un grand meeting, le Front de libération nationale (FLN) au pourvoir depuis 1962, l’a désigné dans ce sens une semaine après le même appel lancé par trois autres partis de l’Alliance présidentielle formée du Rassemblement national démocratique (RND) du premier ministre Ahmed Ouyahia, du Rassemblement de l’espoir de l’Algérie (TAJ), d’Amar Ghoul et du Mouvement populaire algérien (MPA), d’Amara Benyounès.
Constat de vacance
Cela dit, l’état de santé du chef de l’Etat algérien permet-il d’envisager un cinquième mandat dans deux mois et au-delà ? Sait-il lui même qu’il est candidat ? Nombreux se le demandent, en Algérie et ailleurs, son incapacité physique étant établie depuis son AVC en avril 2013 et ses suites… C’est à dire que cette question qui s’était déjà posée à l’occasion du quatrième mandat présidentiel d’avril 2014 se repose avec encore plus d’acuité et de gravité aujourd’hui. Pourtant, l’article 88 de la Constitution 2016 prévoit expressément cette situation d’empêchement puis le cas échéant de vacance pour «cause de maladie grave et durable». Le chef de l’Etat se trouve en effet dans «l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions ». Alors? Alors, personne n’a osé saisir le Conseil constitutionnel qui pouvait d’ailleurs s’autosaisir pour vérifier la réalité de cet empêchement. Le «système» - comme disent les Algériens – fonctionne ainsi ; et cette forme de gouvernance perdure et elle vient de se vérifier de nouveau à l’occasion de la cinquième candidature de Bouteflika.
Validation des candidatures
Après la mort de Mourad Medelci, le 27 janvier 2019, c’est un conseiller du président, Tayeb Belaiz, qui lui a prestement succédé, le dimanche 10 février. Le poste est stratégique, s’il en fut : validation des candidatures à l’élection présidentielle, contrôle de la régularité du scrutin et proclamation des résultats. Un verrou majeur, pour tout dire.
Cet agenda n’était pas celui discuté et envisagé ces derniers mois. D’autres hypothèses s’apparentant à des alternatives de travail ont été ainsi testées. Celle d’une prolongation dite «consensuelle» et partant le report du scrutin présidentiel prévu en avril et ce sur proposition d’Abderrazak Makrin, responsable du Mouvement de la société pour la paix (MSP) – de tendance islamiste – Mais cette éventualité a été écartée par le général Ahmed Gaid Salah, patron de l’armée, alors qu’elle avait eu l’agrément du clan présidentiel. Au sein de cette équipe, Saïd Bouteflika, le frère, avait un temps étudié une révision constitutionnelle pour prolonger le mandat actuel de cinq à sept ans, histoire de se donner du mou pour voir d’ici 2021. Dans ces deux cas, le patron de l’armée a refusé et a pesé de tout son poids pour que le calendrier présidentiel soit respecté. Au final, l’Algérie reste bien otage de l’ère de Bouteflika. Le régime n’est pas réformable et ne peut que s’installer dans la gestion d’un statu quo qui donne une image dramatique du pays et qui ne permet pas d’entreprendre les grandes réformes nécessaires dans tous les domaines.
Les leviers du pouvoir
C’est le sinistre économique et social d’un modèle de développement fondé sur les recettes d’exportation des hydrocarbures – 97% des ventes et 70% des ressources budgétaires. C’est également la faillite d’une génération qui depuis l’indépendance s’est octroyée les leviers du pouvoir et qui n’est pas en mesure de mettre fin à une “rente” politique et économique. Abdelaziz Bouteflika, né en 1937, aura 82 ans le 2 mars prochain. Il aura vingt ans de pouvoir un mois plus tard. Et demain? Tout sera fait évidemment pour que Bouteflika soit réélu dans un fauteuil, si l’on ose dire. Face à des candidats divers – tels Ali Benflis ou peut-être le général Ali Ghediri et d’autres – le scrutin sera plébiscitaire avec un taux de l’ordre de 80% sinon plus. Mais qu’en sera-t-il de la participation électorale? C’est que les électeurs seront difficilement mobilisables parce qu’au final ils mesurent que c’est un scrutin sans véritable choix.
Le changement à terme est sans doute inéluctable. Mais il viendra d’où ? Du côté de l’opposition ? Le Front des forces socialistes (FFS) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) ont appelé au boycott. D’autres petites formations leur ont emboité le pas. Ali Benflis, dirigeant du parti Talai’i Hourriyat a lancé une lourde charge contre la gestion du pays par “des forces extraconstitutionnelles qui continueront à usurper la fonction et les prérogatives présidentielles et à parler et agir au nom du Président”.
Purges dans l’armée
Reste la candidature du général major Ali Ghediri, à la retraite depuis 2015, et qui a annoncé sa candidature en novembre dernier. Son dossier sera-t-il validé par le Conseil constitutionnel au vu de la justification de la signature de 600 élus ou de 600.000 électeurs de 25 wilayas? Mais une chose est sûre en tout cas: celle de l’hostilité d’une partie de la haute hiérarchie militaire à Bouteflika. Depuis une quinzaine d’années, les candidats à la candidature présidentielle n’ont pas manqué : en 2015, celle du général Mohamed Tahar Yala, ancien commandant des forces navales, puis celle du colonel Chabane Boudemagh. Il faut y ajouter les purges qui ont frappé le général Mohamed Lamari opposé à un deuxième mandat de Bouteflika en 2004, le général Hocine Benhadid détenu durant neuf mois pour avoir accusé le président, son frère Saïd et les oligarques en place de “bande mafieuse”.
Les dernières purges d’une dizaine de généraux en septembre-octobre 2018 ont prolongé ce processus. Mais tout cela témoigne que l’armée n’est plus un corps monolithique soumis à l’autorité de Ahmed Gaid Salah, chef d’état-major et soutien de Bouteflika. Le statu quo dans l’immédiat, oui, mais pas la stabilité – encore mois la démocratie et la parole au peuple...