2500 élèves déstabilisés au milieu de l'année scolaire


Le ministère de l’intérieur ordonne la fermeture des écoles du réseau turc Gülen au Maroc


C’est une décision politique  aux lourdes  conséquences socio-économiques.  L’information  est tombée comme un couperet le jeudi  5 janvier 2017. Un communiqué inopiné  du département de l’Intérieur a annoncé  ce jour la fermeture, dans un délai d’un  mois à compter du 5 janvier 2017, des  écoles du groupe scolaire Mohammed  Al Fatih, du réseau d’affaires du turc  Gu?len, l’opposant qu’Erdogan accuse  d’être derrière le coup d’Etat avorté de  2016. «Les investigations sur les établissements  du groupe ‘Mohammed  Al-Fatih’, liés au Turc Fethullah Gu?len,  ont montré qu’ils utilisent le secteur de  l’enseignement pour répandre l’idéologie  de ce groupe et des idées contraires  aux principes du système éducatif et  religieux marocain», accuse le ministère  de l’Intérieur.

«Face au non-respect des avertissements  du ministère de l’Éducation  nationale (…) pour remédier aux dysfonctionnements  enregistrés, il a été  décidé de fermer tous les établissements  scolaires relevant de ce groupe dans un  délai maximum d’un mois», ajoute le  communiqué.
Le ministère de l’Intérieur ne précise  pas combien d’écoles ou d’élèves sont  concernés, mais assure que le gouvernement  «oeuvrera pour que ces élèves  poursuivent leurs cursus» dans d’autres  établissements. Une décision qui a laissé  de marbre les parents des élèves du  groupe. Soudés, ces derniers, qui se sont  vite constitués en un comité de coordination  et de suivi, espéraient pousser  les autorités à changer d’avis à travers  des manifestations quotidiennes. Sans  succès. Le lundi 9 janvier, à Casablanca,  l’aile casablancaise de ce comité a tenu  une rencontre avec le Wali du Grand  Casablanca, Khalid Safir, et le Directeur  de l’Académie régionale de l’Education  de Casablanca.

Un mouvement “dangereux”
Les autorités ont été fermes sur la question  de la fermeture. Pas question d’en  discuter de nouveau. Le délai d’un mois  sera respecté. Sur la question des solutions  préconisées, le wali et le directeur  de l’Académie étaient plutôt flexibles.  «L’école Mohammed Al Fatih de Lissasfa  suit depuis trois ans un système innovant d’enseignement anglais-arabe tandis  que les autres écoles suivent le système  français-arabe. Si la question de replacer  les étudiants dans d’autres écoles de  notre choix ne pose pas de problème  pour ces écoles, en revanche, on n’a  pas de places où placer nos enfants de  l’école de Lissasfa car il n’existe pas  d’écoles ayant le même système éducatif  », confie Slimane Bouslimi, père  de trois enfants à l’école Mohammed Al  Fatih et membre du comité de coordination  et de suivi à Casablanca.

Voyage de découverte
Si le département de Hassad a justifié  la fermeture des écoles Mohammed Al  Fatih par «la propagation de l’idéologie  de ce mouvement et de s on fondateur  Gu?len et la diffusion d’idées contraires  aux principes du système éducatif et  religieux marocain», certains parents  marocains trouvent cet argument  infondé. «Nous n’avons à aucun moment  constaté ou remarqué des tentatives de  diffusion d’idées ou d’idéologie visant  à semer la zizanie dans notre société.  Nous sommes Marocains et défendons  toujours notre pays. D’ailleurs, dans  l’école de Lissasfa, où mes trois enfants  poursuivent leurs études depuis trois  ans, les élèves chantent deux fois par  jour l’hymne national», souligne-t-il.

Mais il n’y a pas de fumée sans feu.  Selon d’autres parents à Tanger, qui ont  préféré garder l’anonymat, l’école utilise  ces écoles pour disséminer l’idéologie  du mouvement appelé «Hizmet» («service  » en turc), de son fondateur Fathullah  Gu?len, allant même jusqu’à recruter  les meilleurs disciples potentiels pour  une formation de quelques mois en Turquie  et qui se déroule comme un voyage  de découverte.

Installé aux États-Unis, Gu?len, accusé  par le président turc d’être derrière le  putsch manqué du 15 juillet 2016, est à la  tête d’un mouvement appelé «Hizmet»  («service», en turc), qui compte un  réseau d’écoles, d’ONG et d’entreprises.  Le gouvernement turc considère ce  mouvement comme une «organisation  terroriste». Mais les choses ont pris  une autre tournure. Les bonnes relations  diplomatiques entre la Turquie et  le Maroc étaient vraiment en jeu. Il y a  quatre mois, une délégation de parlementaires  turcs était en visite au Maroc  avec l’objectif de convaincre les autorités  de la «dangerosité» du mouvement  Gu?len et de son réseau d’écoles privées.  Ancien allié du président turc Erdogan,  Fetullah Gu?len crée, dans les années  1970 et 1980, son propre réseau en  Turquie.

Épuration à la turque
Et dans les années 1980, il développe  son premier réseau d’établissements  scolaires, même en dehors de la Turquie.  A partir des années 1980, le Gu?len  infiltre l’armée turque, garante de la  laïcité. L’état-major procède à plusieurs  épurations des écoles militaires, notamment  dans les rangs des laïques. Fin  2013, Recep Tayyip Erdogan, conscient  du poids que représente Gu?len, amnestie  les généraux laïques et se retourne  contre la confrérie. En décembre 2013,  des proches du premier ministre sont  impliqués dans une affaire de détournement  de fonds publics. Erdogan accuse  alors le mouvement Gu?len et ses disciples  d’avoir fomenté un «coup judiciaire  » contre lui et ses proches.

Suite à la tentative de coup d’État de  2016 en Turquie, le président Erdogan  oriente la purge au système éducatif  turc en fermant les nombreuses écoles  privées de Gu?len. Au Maroc, fin août  2016, un responsable des écoles mises  en cause avait réfuté tout lien politique  avec ce mouvement. Sept établissements  étaient alors concernés, dont trois  à Casablanca, comptant 2.500 étudiants,  dont 2.470 Marocains.

La pression turque semble avoir atteint  ses objectifs, même si le département de  Hassad a de bonnes raisons pour ordonner  la fermeture des écoles. Du côté des  parents d’élèves, ils disent avoir adressé  une lettre de doléances à l’attention du  Roi Mohammed VI le 9 janvier 2017 au  Cabinet royal. Ils vont aussi mandater  des avocats contre l’arrêt du ministre de  l’Intérieur.

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