2020, une année imprévisible

De lourdes conséquences de la crise sanitaire sur les plans économique et politique

Une année qui s’achève tant bien que mal. Sur le plan politique, le gouvernement a géré cette situation imprévisible sans visibilité ni vision. L’hésitation et le manque de communication étaient le grand qualificatif de l’écrasante majorité des décision prises. Sur le plan économique, la reprise, selon la banque centrale, est attendue en 2023. Mais de quelle relance parle-t-on vraiment ?

Quelle année! Il y aura toujours un avant et un après 2020. Une année pleine, à bien des égards. Une épidémie qui est venue à bout d’une économie, déjà fragilisée lors des mandats des gouvernements Benkirane puis El Othmani: Une croissance en berne et une crise de confiance au sein de la majorité gouvernementale qu’on peinait à cacher.

Quelques jours après le tollé provoqué par la décision d’introduire dans le projet de loi de finances 2020 la très controversée mesure qui stipule notamment que les biens et les fonds de l’Etat ne peuvent faire l’objet de saisie par les créanciers porteurs de titres ou de jugements exécutoires à l’encontre de l’Etat, le gouvernement avait cette idée de lumière de vendre cinq centres universitaires hospitaliers (CHU) à la Caisse marocaine de retraite (CMR) pour 4,6 milliards de dirhams assortie d’un Contrat de bail sur une longue durée.

C’est dire dans quel état se trouvait l’économie avant l’avènement de cette épidémie et l’absence d’ingéniosité gouvernementale à trouver des solutions pour relancer une économie essoufflée et non compétitive. L’Etat était au bord d’une faillite tellement le budget était devenu serré et les recettes étaient réduites comme une peau de chagrin à cause, notamment, de la fraude fiscale.

A telle enseigne que pour le cabinet El Othmani, toute solution de rentrée d’argent était la bienvenue, particulièrement celle consistant à prélever directement des comptes bancaires des contribuables, physiques et moraux, les montants des impôts dus. Oui, c’est la fameuse ATD qui a provoqué un asséchement jamais constaté de la monnaie fiduciaire.

La suite est connue. L’épidémie, imprévisible mais mal gérée sur un plan sanitaire au tout début mais surtout pendant l’été 2020, a achevé l’économie. L’historique discours royal du 20 août 2020 commémorant le 67e anniversaire de la Révolution du Roi et du peuple, avait été suffisamment alerte.

Les caisses de l’Etat étaient vides et les finances publiques ne pouvaient plus supporter de nouvelles dépenses ou des dépenses superflues. «(…) Cet appui ne peut continuer indéfiniment, car les aides accordées par l’Etat excèdent ses ressources », disait le Souverain, faisant allusion aux aides accordées aux couches défavorisées de la population, vivant dans l’informel et la précarité et aux salariés ayant perdu leur emploi en conséquence des répercussions de la crise sanitaire.

Jusqu’en juin 2020, pendant trois mois, les premiers touchaient entre 800 et 1.200 dirhams mensuellement, en fonction de la taille de la famille bénéficiaire tandis que les seconds percevaient de la CNSS le montant de 2.000 dirhams. Cet argent n’était puisé dans le budget de l’Etat qu’à hauteur de 10 milliards de dirhams, injectés dans le Fonds spécial de gestion de la pandémie, initié par le Roi.

Gestion de la pandémie
Le reste des 33 milliards de dirhams virés dans ce Fonds, géré par un comité de veille économique (CVE) présidé par le ministre des Finances, Mohamed Benchaâboun, provenait des dons d’entreprises, de banques et de particuliers. Un élan de solidarité royal qui a été perçu comme une soupape et un filet de sauvetage économique et social.

L’étincelle de solidarité va vite s’éteindre quand les caisses de l’Etat se sont taries. Plus de 5,5 millions de Marocains ont été livrés à euxmêmes après quatre mois d’un dur et impitoyable confinement. Un sentiment d’injustice sociale grandit.

Une injustice qu’a subie cette large frange de Marocains depuis le mois de juillet 2020, suite à la suspension des aides étatiques et à la non-intervention du gouvernement dans l’affaire des arriérés des loyers cumulés pendant la période du confinement.

Une opposition complice
Petit rappel, le gouvernement avait rejeté les deux propositions de loi visant à empêcher l’expulsion des locataires en cas de non-paiement du loyer durant l’état d’urgence sanitaire. Le rejet est valable aussi bien pour les baux d’immeubles à usage commercial, industriel et artisanal, que pour ceux à usage d’habitation ou professionnel.

Les modifications proposées par l’Union socialiste des forces populaires (USFP) visant à modifier la loi n° 67.12 relative à l’organisation de la relation contractuelle entre les propriétaires et les locataires pour les magasins destinés à un usage résidentiel ou professionnel, et la loi n°49.16 relative aux baux d’immeubles à usage commercial, industriel et artisanal, ont été tout bonnement remises aux calendres grecques.

L’opposition est restée muette, voie complice en quelque sorte à l’hémicycle du parlement. Elle a de ce fait raté une occasion en or de se repositionner à l’aune des prochaines élections législatives de 2021. Le déconfinement à partir du 26 juin 2020 était sous conditions. Les restrictions de déplacement étaient maintenues dans certaines villes où le virus se propageait beaucoup plus rapidement.

Le malaise social croissant a été accouplé à un autre malaise économique. L’épidémie et la crise économique qu’elle a enfantée ont poussé moult entreprises à user du licenciement économique. Parfois de manière abusive. Des dizaines de milliers étaient invités à rentrer chez eux.

Près de 540.000 nouveaux chômeurs, selon un bilan officiel. Certaines grandes entreprises, en manque de visibilité, ont exploité la situation pour renvoyer une partie de leur personnel et se libérer ainsi d’une charge sociale qui égratignait leurs profits. Le gouvernement, non seulement ne réagit pas, mais il cautionne, à travers le CVE présidé par Benchaâboun, le licenciement de 20% du personnel.

Les syndicats étaient attendus au virage. Mais ils ont déçu. Les centrales syndicales n’avaient pas eu la réaction attendue, en avril 2020, quand Saâd Eddine El Othmani avait jeté un nouveau pavé dans la mare en proposant une retenue de trois jours sur salaires des fonctionnaires en guise de solidarité pour faire face au coronavirus.

C’était quelques jours avant que le Chef de gouvernement ne décide du report des promotions des fonctionnaires excepté ceux de la santé et de la sécurité, écartant ainsi les femmes et les hommes de l’enseignement qui comptaient eux aussi parmi les soldats en guerre contre cet ennemi invisible. Des décisions hâtives et irréfléchies qui étaient revisitées parfois, en réaction à des grèves ou des menaces de grève.

Prise en charge
Mais la pire des décisions qu’a prises le gouvernement, c’était d’autoriser l’Aid Al Adha (la fête du sacrifice) qui coïncidait avec les vacances d’été. Entre déplacements fréquents et affluence massive sur les moyens de transport public et les marchés de bétail, la facture à payer a été une hausse exponentielle des contaminations et par ricochet, des décès et des cas critiques nécessitant une prise en charge en réanimation.

Une montée en flèche qui a pris tout le monde de court, même les membres du gouvernement qui se sont permis des vacances de 10 jours au moment où la hausse prenait des allures alarmantes. Leur faisant assumer les conséquences de ce relâchement, le ministre de la Santé avait suspendu le 3 août 2020 et «jusqu’à nouvel ordre» les congés du personnel de la santé, ce qui n’a pas manqué de provoquer l’ire des blouses blanches.

Les retombées sur l’économie n’allaient pas tarder à pointer. Dans la loi de finances rectificative, s’agissant de l’accompagnement de la relance économique, on retient les cinq milliards de dirhams consacrés à l’accompagnement de la mise en oeuvre des mécanismes de garantie au profit de tous les segments d’entreprises, y compris les entreprises publiques, qui ont donné naissance aux crédits Relance et Oxygène.

Des conditions avantageuses appliquées à travers un taux d’intérêt maximum ne dépassant pas 3,5%, et un délai de remboursement de 7 ans, avec deux ans de grâce et une garantie de la CCG (Caisse centrale de garantie) variant entre 80% et 90% et pouvant atteindre 95% pour les très petites entreprises.

Mais on retient également le budget de l’investissement public (86 milliards) majoré de seulement 15 milliards, dans le but de redynamiser l’économie nationale. Pour sa part, la banque centrale a abaissé le taux directeur à 1,5%. Le gardien du temple des ratios de solvabilité et de la réglementation prudentielle, qui obligeait les banques à détenir suffisamment de capital sous forme de fonds propres et des réserves déposées à la banque centrale, est allé même jusqu’à inviter les banques à passer outre ces freins pour libérer les crédits et relancer, partant, une économie au bord de la faillite, tout en relâchant de 50 points de base les fameux ratios sur les fonds propres pour une période de 12 mois.

Effets d’annonce
Les 85 milliards de dirhams n’étaient pas suffisants. Et puis, la circulaire en date du 1er juillet 2020, de Saâd Eddine El Othmani adressée aux ministres et ministres délégués, aux hauts commissaires et au Commissaire général, dont l’objet est l’actualisation de leurs propositions relatives à la programmation de leurs budgets pour les trois années à venir 2021- 2023, annonçait déjà la couleur.

La relance de l’économie sans investissement relevait de l’impossible. Le discours du Roi Mohammed VI, le 9 octobre 2020, à l’occasion de la rentrée parlementaire, a suppléé au manque d’audace du gouvernement. Il a placé le plan de relance économique en tête des priorités de l’Exécutif.

Le Roi a annoncé la généralisation de la couverture et de la protection sociale, tout en supprimant le Ramed et la mise de 120 milliards de dirhams au lieu de 85 milliards. Sur les 120 milliards, 40 milliards devaient aller au stratégique Fonds Mohammed VI pour l’investissement. A ce jour, de grandes interrogations subsistent autour de la mise en oeuvre de la généralisation de la couverture sociale, le sort du Ramed et le démarrage du fonds d’investissement.

Cet air d’optimisme soufflé par les initiatives royales était estompé par beaucoup d’effets d’annonce et peu de concrétisations. A l’image des annonces faites par le ministre de l’Industrie, Moulay Hafid Elalamy, relatives à la production de respirateurs et de lits de réanimation et du contrôle des unités industrielles qui étaient pendant plusieurs mois le principal foyer de contamination.

Mais la machine économique était restée sclérosée du fait des restrictions sanitaires et de déplacements qui obligeaient plusieurs entreprises à réduire au maximum leur activité et le nombre de leurs salariés quand d’autres se voyaient contraintes à mettre la clé sous la porte.

Une année qui s’achève tant bien que mal. Sur le plan politique, le gouvernement a géré cette situation imprévisible sans visibilité ni vision. Tout le monde se rappelle encore les rarissimes sorties médiatiques d’El Othmani dans lesquelles il répétait sans cesse qu’il n’avait aucune vision.

L’hésitation était le grand qualificatif de l’écrasante majorité des décision prises. Notamment celle en septembre 2020 quand le ministre de l’Education nationale, Said Amzazi, annonçait le retour des élèves et des étudiants aux bancs des écoles à un moment où le nombre des contaminations atteignait un pic.

L’autre constat patent était le défaut de communication publique. Le gouvernement et ses membres ont innové en communicant soit à coup de posts sur Facebook ou des tweets ou bien par le truchement de communiqués qui tombaient tard dans la nuit ou le week-end.

Sur le plan économique, la reprise, selon la banque centrale, est attendue en 2023. Mais de quelle relance parle-t-on vraiment? Car l’économie nationale peinait à redémarrer, des années durant, même avant l’épidémie. Sur le plan sanitaire, les 2,2 milliards de dirhams qu’a reçus le département de Khalid Aït Taleb n’ont rien changé au statu quo: un hôpital public saturé et dépassé et un personnel médical et infirmer qui s’est surpassé en fournissant des efforts ineffables avec le peu de moyens dont il disposait.

Le manque de réactivité du ministre Aït Taleb et de son chef El Othmani a été constaté au début de l’épidémie quand le virus frappait à nos portes. «Alerte maximale», c’était le titre de la Une de Maroc Hebdo (N°1336, du 21 au 27 février 2020) qui a attiré l’attention très tôt sur le nouveau coronavirus et sur la probabilité du début d’une nouvelle épidémie mondiale.

A cette époque déjà, le gouvernement et le ministère de la Santé contrecarraient tous les appels à la vigilance taxés d’appels à la panique générale. «Il ne faut pas céder à la panique. C’est sous contrôle», lisait-on dans les communiqués du ministère de la Santé. Le virus, il avait pourtant déjà atteint l’Italie, la France, l’Espagne… des pays avec lesquels le Maroc a des fréquences journalières et régulières de vols et où est établie une grande communauté marocaine.

La peur s’installait car ni les moyens techniques ni les infrastructures sanitaires existantes ne montrent que le Maroc est prêt à faire face à ce virus fatal. Malgré cela, les liaisons aériennes ont été maintenues avec la Chine, les pays européens, le Canada, les Etats-Unis…

La porte était grande ouverte. C’était le premier signer d’une gouvernance marquée de l’hésitation et de l’improvisation. Quelques jours plus tard, début mars 2020, les premiers cas contaminés sont déclarés.

Le 17 mars, le ministre de l’Education nationale et de l’enseignement supérieure prend l’initiative de suspendre les études en présentiel. Le 20 mars, le gouvernement décrète l’état d’urgence sanitaire et instaure un confinement général qui allait durer plus de trois mois.

Fréquences journalières
Tout compte fait, ces événements sont derrière nous. Encore faut-il en tirer les enseignements! L’optimisme est de mise avec la campagne de vaccination massive anti-Covid annoncée par le Roi Mohammed VI. Mais 2020 a été sans conteste une année chargée d’angoisse, de flou, d’attentisme et lourde de conséquences notamment sur le plan économique.

Le pire est à venir. Ce qui est désolant, c’est que dans la loi de finances 2021, le gouvernement n’a pas fait d’efforts pour réduire les dépenses ordinaires des administrations publics et le train-train de vie des départements ministériels. Et il a demandé aux salariés et aux entreprises de mettre la main à la poche pour aider à faire face à cette situation de crise exceptionnelle.

En voilà une leçon à retenir pour celles et ceux qui préfèrent s’abstenir de voter ou qui choisissent leurs gouvernants sur la base de leurs référentiels religieux ou autres. Une leçon aussi pour la commission, présidée par Chakib Benmoussa, qui se concerte pour mettre au point un nouveau modèle de développement.

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