María Del Consuelo Rumí : "je considère que la position de l’espagne sur le sahara est irréversible"

INTERIVEW EXCLUSIVE DE MARÍA DEL CONSUELO RUMÍ, Ex-secrétaire d’État espagnole à l’Immigration puis à la Fonction publique

Ancienne députée socialiste de Almeria, María del Consuelo Rumí évoque la question du Sahara marocain, le dossier de l’immigration, la crise hispano-algérienne et l’avenir des relations avec le Maroc.

Dans quel cadre s’inscrit votre visite au Maroc?

J’adore le Maroc. C’est ma première destination en dehors de l’Espagne depuis l’avènement de la pandémie du Covid-19. J’ai longtemps travaillé, main dans la main, avec les autorités marocaines et je crois que, ensemble, nous avons réalisé de nombreux exploits surtout au niveau de la gestion de la migration, mon domaine de compétence. Pour revenir à votre question, ma visite s’inscrit dans un cadre privé. C’est un séjour qui me permet de me reposer et de profiter des saveurs, des couleurs, des odeurs de ce chaleureux pays. Nous avons tous vécu des moments difficiles pendant ces deux ans de crise sanitaire. Aujourd’hui, c’est du passé. Je retrouve la joie de vivre. Et, à mon sens, il n’y a pas mieux que le Maroc pour en profiter. Les relations maroco-espagnoles ont toujours connu des hauts et des bas. Aujourd’hui, c’est une nouvelle ère qui s’amorce.

Peut-on dire que cette alliance Rabat-Madrid va durer longtemps?

Je le souhaite de tout cœur. Lorsque j’étais secrétaire d’État à l’Immigration, entre 2004 et 2010, les liens qui unissaient Rabat et Madrid étaient excellents et basés sur la confiance réciproque. Nous avions réussi à établir une coopération solide dans le domaine migratoire. J’espère qu’au regard des dernières évolutions, on puisse retrouver ce niveau d’excellence d’antan. L’Espagne et le Maroc doivent se comprendre davantage, car ils ont besoin l’un de l’autre. Cette entente doit revêtir plusieurs aspects: économique, social, humain… Aujourd’hui, je suis très heureuse qu’on ait pu établir une relation de confiance et de transparence encore plus cimentée que par le passé. L’avenir des deux pays dans plusieurs domaines en dépendra. Ce rapprochement entre le Maroc et l’Espagne pourra-t-il résister au changement de gouvernement? Tout d’abord, j’espère que le gouvernement socialiste remportera les prochaines élections. Mais si un autre parti arrive au pouvoir -j’entends a fortiori le Parti populaire-, j’espère qu’il sera assez intelligent pour savoir que les relations entre le Maroc et l’Espagne doivent être fondées sur la confiance et l’enrichissement mutuels dans tous les aspects de la vie politique, économique, sociale et culturelle. Ces relations doivent rester invariables indépendamment des formations politiques portées au pouvoir. Si cela change, cela sera une maladresse politique grave.

 

L’entente maroco-espagnole a provoqué l’ire de l’Algérie. Comment Madrid gère-t-elle ses relations avec ces deux pays voisins?

Il est difficile de répondre à cette question complexe. Les relations entre le Maroc et l’Algérie sont, d’abord, une affaire interne qui ne concerne que les gouvernements de ces deux pays. Je ne peux pas prédire l’évolution de leurs relations dans l’avenir. L’Espagne entretient des relations différentes avec le Maroc et avec l’Algérie.

 

La nouvelle position de Madrid vis-à-vis du dossier du Sahara et son soutien au plan d’autonomie marocain a poussé le régime algérien à rompre l’accord d’amitié et de coopération hispano-algérien… En dépit de ces pressions algériennes, peut-on dire que l’Espagne ne changera jamais sa position?

Comme je l’ai souligné précédemment, l’Espagne ne changera jamais sa position sur le dossier du Sahara. C’est irréversible. Et quand je dis cela, je ne représente pas le gouvernement espagnol. C’est une opinion qui n’engage que moi. Je suis particulièrement heureuse des avancées réalisées entre le Maroc et l’Espagne sur la question du Sahara.

Et je renouvelle mon approbation de la reconnaissance par l’Espagne du plan d’autonomie marocain comme la solution la plus crédible et la plus sérieuse pour le règlement définitif de ce conflit. Je continue à croire, dur comme fer, que c’est la bonne voie à suivre. Par ailleurs, j’aimerais souligner que le président du gouvernement espagnol, M. Pedro Sanchez, a déjà tendu la main, à maintes reprises, à l’Algérie pour rétablir, voire développer, les relations bilatérales. J’espère que ce qu’il entreprend finira par convaincre le pouvoir algérien que l’avenir des relations hispano-algériennes ne peut être basé que sur le respect mutuel et la confiance. Je me pose souvent la question: pourquoi tant de conflits et de tensions? Je plaide pour moins de conflits et plus d’accords dans l’intérêt des peuples. Il faut travailler à trouver des solutions qui profitent à tous.

 

Rabat et Madrid ont repris la coopération en matière migratoire. Où en est-on actuellement?

Depuis 2004, et alors que je me chargeais encore de ce dossier au sein du gouvernement espagnol, nous avons réussi à mettre en place, en partenariat avec les responsables marocains, des programmes d’emploi au profit des Marocains établis en Espagne dans le cadre de la migration circulaire. L’exemple du secteur des fruits rouges est édifiant. Il y a d’autres projets dans d’autres secteurs qui peuvent être cités. Bien entendu, l’avènement de la pandémie du Covid-19 a fait baisser le flux régulier de la main d’œuvre saisonnière, mais je vous assure qu’actuellement, cette tendance s’est estompée. Concernant les Marocains installés en Espagne, qui représentent la première communauté étrangère déclarée à la sécurité sociale espagnole, ils sont bien intégrés en général.

 

Parlons de la migration circulaire. Certaines travailleuses saisonnières sont victimes de violences et de harcèlement sexuel. Que fait l’Espagne pour protéger ces migrantes et garantir leur intégration socio-économique?

L’Espagne a mis en place plusieurs programmes pour garantir à ces migrantes des conditions de travail qui préservent leur dignité avant tout. Les autorités espagnoles contrôlent régulièrement les employeurs. Ils ont établi des protocoles d’accompagnement en cas de violation des droits des employées. Celles-ci profitent également de programmes de formation en langue espagnole et en entreprenariat, entre autres, afin de faciliter leur intégration en Espagne. Et, pour éviter que ces femmes ne retombent dans une situation de précarité au retour à leur pays d’origine, nous avons créé des programmes qui visent à les rendre autonomes dans leur communauté d’origine.

Ce travail a besoin néanmoins d’être suivi pour que toutes les migrantes qui travaillent dans le domaine de l’agriculture en Espagne puissent se sentir en sécurité et voir que leurs droits sont respectés. Au final, le but est d’asseoir une migration circulaire sûre, ordonnée et sécurisée.

 

Qu’en est-il de la migration irrégulière?

Je tiens de prime abord à préciser que les migrants irréguliers ne sont pas tous des Marocains. Le Maroc est un pays de transit pour les personnes qui rêvent d’atteindre l’Europe. L’immigration irrégulière est la conséquence des inégalités qui existent dans le monde. C’est en soi un échec de toute l’humanité. Les États ont l’obligation de contrôler les frontières, mais les pays développés doivent aider les pays en voie de développement à assurer une vie digne pour leurs citoyens.

Aujourd’hui, le Maroc est entre le marteau de l’Union européenne, qui exige plus de contrôles à ses frontières, et l’enclume des pays africains, qui l’accusent de maltraiter les immigrés du continent. Que pensez-vous de cette situation critique dans laquelle se trouve le Maroc ?

De par sa situation géographique stratégique, le Maroc est dans une situation compliquée. C’est un pays de destination et de transit. Il doit ainsi contrôler toute l’immigration irrégulière en provenance du sud en général et en même temps contrôler ses rives du nord. Il a besoin d’une forte collaboration et d’un engagement extérieurs, notamment de la part de l’Espagne et de l’Union européenne. Cette collaboration doit se traduire par l’octroi des fonds nécessaires qui lui permettent une meilleure gestion des frontières.

 

Au niveau de Sebta et Mélilia, les postes frontaliers terrestres sont difficilement maîtrisables. Peut-on gérer efficacement ces frontières?

Dans un monde utopique ou irréel, les frontières n’existent pas. Mais nous sommes dans le monde réel. Je pense qu’il doit y avoir une collaboration sécuritaire entre les ministères de l’Intérieur marocain et espagnol afin de développer une frontière intelligente qui facilite les entrées et les sorties régulières, tout en respectant la réglementation européenne à laquelle nous adhérons.

Lors d’un forum tenu en mars 2019 à Barcelone, vous avez déclaré que ce serait une grave erreur de considérer l’immigration comme une menace plutôt qu’une opportunité pour la société espagnole. Concrètement, comment faire de la question de la migration un vecteur de développement qui profite aussi bien à l’Espagne qu’au Maroc?

Certes, la migration et la mobilité constituent un enjeu majeur de développement humain, social et économique, que ce soit pour le Maroc ou pour l’Espagne tant que c’est dans le cadre d’une migration régulière, sûre et ordonnée. Comme je l’ai déjà mentionné, la migration circulaire profite aux migrantes qui reçoivent des formations en continu et qui plus est sont encouragées à entreprendre vu qu’elles répondent au besoin de main d’œuvre d’un secteur crucial en Espagne, à savoir l’agriculture. En même temps, cette migration profite économiquement aussi au Maroc. C’est du gagnant-gagnant à tous les niveaux. Des professionnels dans d’autres secteurs comme le tourisme ou le transport sont également sollicités pour des programmes de ce genre. C’est dire que la migration est une opportunité et non pas une menace.

En Espagne, les Marocains sont les étrangers les plus ciblés par des crimes de haine et de racisme. Comment, selon vous, peut-on freiner cette vague de xénophobie et d’islamophobie?

Il ne faut pas croire que l’Espagne est un pays raciste. Loin de là. C’est un pays accueillant en général et surtout avec les ressortissants marocains. Certes, on déplore de temps à autre des incidents désolants mais cela n’arrive pas qu’aux Marocains. Tout acte violent, raciste, xénophobe à l’égard de toute personne, quelle que soit sa nationalité ou quelles que soient ses origines. Il est condamnable, est passible de lourdes peines en Espagne.

Dans le contexte régional et international actuel marqué par l’instabilité et l’incertitude, comment le Maroc et l’Espagne peuvent-ils renforcer leur collaboration?

Je crois qu’entre les deux pays, une nouvelle étape a déjà été amorcée depuis avril 2022, depuis la visite du président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, au Maroc, sur invitation de S.M. le Roi Mohammed VI. Le processus d’une coopération élargie et fructueuse est en cours. Elle s’appuie et se nourrit de l’importance stratégique des liens qui unissent les deux pays, notamment au niveau économique et sécuritaire. D’ailleurs, la réunion de la haute commission mixte qui aura lieu avant la fin de cette année devrait permettre de discuter et de renforcer les liens bilatéraux en se basant sur des fondements plus solides que jamais.

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