Situation des femmes au maroc en 2019

L'enfer au féminin

Il y a loin d’une véritable émancipation de la gent féminine dans notre pays.

Cet exercice 2018/2019 a décidément été, pour la femme marocaine, mitigé -à l’instar, serait-on tenté de dire, des précédents. Si d’un côté, les avancées, au plan théorique, n’ont pas manqué, avec notamment l’entrée en vigueur le 12 septembre 2018 du nouveau texte sur les violences faites aux femmes -loi n°103-13-, il n’en demeure pas moins qu’il y a loin d’une véritable émancipation de la gent féminine dans notre pays.

Celle-ci reste en effet, à bien des égards, reléguée au second plan, comme l’attestent les chiffres relatifs à son taux d’activité -20,6% au troisième trimestre de l’année 2018 selon le Haut-Commissariat au plan (HCP), contre 70,2% pour les hommes-, quand, justement, elle ne subit pas les violences, verbales mais aussi physiques, de sa contrepartie masculine: quoi qu’on dise, et quoi que veuillent sans doute une partie de nos responsables, le Maroc continue, in fine, d’accuser du retard même en comparaison avec des pays du voisinage maghrébin -on y reviendra.

Violences verbales et physiques
C’est sans doute et cela et la culture qui, dans son essence, sacrifie à un sexisme et plus précisément à une misogynie qui dit et, souvent, revendique, en roulant des mécaniques, son nom que de plus en plus de Marocaines font entendre leurs voix et appellent à un traitement juste et équitable, mais aussi plus respectueux, à leur endroit. Nos concitoyennes ne veulent, en d’autres termes, plus se taire: c’est justement le nom que s’est choisi un collectif de femmes qui, par les temps qui courent, occupe de façon éclatante la scène médiatique, en l’occurrence Masaktach (traduisible, depuis la langue d’El Mejdoub, en un «je ne me tairai pas» féminin). Ce collectif s’était notamment illustré, en novembre 2018, à travers sa campagne «Ila dsser sefri» (s’il ne se gêne pas, siffle-le), qui encourageait les femmes à souffler, dès lors qu’elles auraient fait l’objet de harcèlement sexuel dans la rue, dans un sifflet qu’elles auraient au préalable accroché au cou: le succès est immédiat parmi les Marocaines.

Banalisation du viol
«Il s’agit de remettre le harceleur à sa place et la victime à la sienne. La symbolique du sifflet, souvent utilisé comme un moyen de mise en garde contre un abus ou une faute, s’arrête là. Il s’agit d’alerter les gens dans la rue sur l’étendue du phénomène et la fréquence à laquelle les femmes marocaines subissent les attaques et permettre aux femmes d’exprimer leur refus de cette culture avec tous les comportements qu’elle banalise et normalise,» nous expliquait, alors, une de ses membres, Loubna Rais.

Mais c’est aussi que ces comportements sont de plus en plus visibles et bénéficient d’une audience plus large au gré du développement des médias sociaux. En effet, ces derniers n’en finissent plus de dévoiler la face sombre de la situation des femmes au Maroc et des drames que celles-ci subissent au quotidien, devant la passivité de tous mais aussi, et on n’est pas à un paradoxe près, de toutes. On cite notamment en exemple l’affaire d’Imane, 24 ans, violée en plein jour dans un bus casablancais en août 2017, sans que personne n’ait vraiment cherché à y redire. D’ailleurs, même après l’ébruitement de son agression suite à sa diffusion sur les médias sociaux, on persistera à se voiler la face: la victime était soi-disant folle et avait elle-même provoqué, par sa tenue par trop légère au goût du vulgum pecus, la horde d’adolescents qui l’ont prise d’assaut et qui la connaissaient d’ailleurs, étant originaires du même quartier de Sidi Bernoussi.

Comme si tout pouvait être prétexte à l’inaction, même en la présence de preuves accablantes. Des preuves, justement, Khadija devra à jamais les porter sous les espèces de tatouages à la peinture acrylique, que des garçons de son village d’Ouled Ayad, dans la province de Fquih Ben Salah, lui ont inscrits dans la chair; conséquence de la séquestration dont elle a près de deux mois durant, l’été dernier, fait l’objet de leurs mains.

L’adolescente de 17 ans subit de nombreux viols, et si les détails de l’épreuve qu’elle subit sont pour soulever le coeur de quiconque possède un tant soit peu d’humanité, les commentaires égrenant le procès de ses ravisseurs présumés donnent, en revanche, la pleine mesure de la banalisation et de la normalisation en cours, pour reprendre Mme Rais, en ce qui s’agit des violences faites aux femmes: c’est à peine si on ne jetait pas Khadija elle-même en prison, du fait qu’elle serait «de petite vertu», qu’elle se droguerait,... Et alors? Quand bien même tout cela serait vrai, cela légitime-t-il un blanc-seing pour laisser libre cours à ses pulsions? Non, bien évidemment. C’est pourtant un terrain dans lequel même dans des milieux réputés féministes (ou prétendus tels), on n’a pas manqué de se hasarder...

Le Maroc distancé
A ces violences physiques, concrètes, dont sont victimes de nombreuses Marocaines s’ajoutent à celles, non moins problématiques, symboliques: qu’une femme ose défier l’ordre établi et elle se retrouve tout de go mise sur la touche. C’est la mésaventure arrivée, entre autres, à la théologienne Asma Lamrabet, contrainte de démissionner en mars 2018 de la Rabita mohammadia des oulémas en raison de ses positions favorables à l’égalité en héritage entre les deux sexes, alors que l’islam l’interdirait: une allégation sans véritable fondement, en vérité. «Le message du Coran a donné des latitudes extraordinaires pour le réinterpréter en tous temps et en tous lieux. Ce qu’on interdit aujourd’hui, on ne le retrouve pas dans le Coran,» expliquait la concernée au journal électronique HuffPost Maroc.

Sur cette question de l’héritage justement, le Maroc se trouve aujourd’hui distancé par un pays comme la Tunisie, qui s’apprête à voter une loi favorable à l’égalité en la matière suite à son adoption le 23 novembre 2018 en conseil des ministres: avec sa Moudawana du 10 octobre 2004, le Royaume pouvait pourtant jusqu’ici s’enorgueillir de compter parmi les législations les plus avancées de la région. Mais il faut dire qu’il a été rattrapé par le machisme de la majeure partie de sa population. Comme quoi, une certaine acception du rôle de la femme dans la société a la vie dure...

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