
La naphtaline, c’est connu, ça protège les habits qui font le moine. Ça protège aussi les djellabas qui font l’imam et l’uléma. Ça protège même la gandoura blanche et aseptisée qui fait le faux musulman occasionnel du ramadan. Elle a l’avantage de faire fuir les blattes, les cancrelats, les cafards, les termites et autres bestioles mécréantes qui ne cherchent qu’à manger et rompre le jeûne en public durant ce sacré Ramadan. Elle a aussi l’avantage de favoriser l’allégeance institutionnelle aux marqueteurs de la chose religieuse.
Ce qu’on ne savait pas, c’est que la naphtaline protège aussi les lois du code pénal mises en place par nos ex-colonisateurs. L’article 222 du code pénal, concocté pour des raisons coloniales par le maréchal Lyautey et mis en momification par nos conservateurs juridico-religieux, traine toujours sa poussière pour emprisonner et verbaliser les buveurs d’eau écrasés par la chaleur accablante et encapsulés dans des contraintes sociales du ramadan qui se mentent à elles-mêmes.
Au 21ème siècle, dans un pays qui se veut moderne et à la pointe de grandes choses, on continue à statuer que «tout individu notoirement connu pour son appartenance à l’Islam qui rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le ramadan est passible de un à six mois d’emprisonnement et d’une amende de 200 à 500 dh».
Pourtant, la constitution marocaine garantit la liberté du culte même aux «notoirement musulmans» et le Coran, dans son verset 183 autorise ceux qui ne le supportent pas, à compenser le jeûne par la nourriture d’un pauvre pour une journée.
Dans la conjoncture socio-politique actuelle, ce n’est même pas la peine de développer plus dans le sens de la liberté laïque, païenne ou polythéiste. C’est des sujets qu’on ne peut plus aborder sous peine d’être socialement abjuré et policièrement jeté aux orties avec son burnous. La religion de l’État est l’Islam.
De ce fait, aujourd’hui, elle annexe quantitativement un tel espace que l’universelle liberté individuelle est convertie en une «liberté surveillée». Une caractéristique principale des instances de domination religieuse et de l’emprise grandissante des «nouveaux clercs» dans le champ social global.
Max Weber disait que les dominants ont toujours besoin «d’une sociodicée de leur privilèges», c’est à dire une justification théorique du fait qu’ils sont privilégiés. Les discours populistes et mythiques, les interprétations fallacieuses de la chose religieuse sont là pour toutes les justifications d’aujourd’hui et leurs contraires demain. Il sont là aussi pour s’approprier le monopole de la contrainte théocratique qui nous trimbale au hasard des besoins de domination entre plusieurs corrélats que sont le mythe, le tabou, le sacré, le profane, le péché, la souillure de l’ordre moral et, pour finir, entre Dieu punisseur et Dieu juste et bon.
L’article 222 du code pénal, comme ses semblables, qui font nos tares juridico-administratives héritées d’un autre temps, sont obsolètes et contraires aux règles internationales en matière de libertés individuelles et de droits de l’homme. Mieux qu’une réforme qui peine à s’implanter et dont on ne verra pas l’impact, un dépoussiérage de la chose juridique et l’instauration d’une «juste culture» des libertés individuelles seraient les bienvenues.
C’est un souhait qui ne viendra pas à souhait tant le politique continuera à tirer parti du religieux et que les dits et les écrits incertains des Abou-machins- chose d’un passé tribal continueront à s’immiscer dans notre vie privée et dans les bribes de nos libertés individuelles d’aujourd’hui