Ramid sous le feu des critiques

Mustapha Ramid, ministre de la Justice et des Libertés Mustapha Ramid, ministre de la Justice et des Libertés

La mouture en circulation  de l’avant-projet de code  pénal suscite depuis sa  mise en ligne le 2 avril  2015 sur le site web du  ministère de la Justice et des  Libertés moult réactions tant dans  les rangs de la société civile que des  internautes. D’aucuns houspillent  son caractère rétrograde si ce  n’est l’idéologie intégriste que les contempteurs du Parti de  la Justice et du Développement  (PJD), principal parti politique de  la majorité gouvernementale,  accusent la formation islamiste de  porter. Ainsi plusieurs dispositions  “indisposent” si l’on ose dire.
Le texte apporte il est vrai un  certain nombre de nouveautés. Il  en va ainsi des peines alternatives,  que le ministre de la Justice et des Libertés, Mustapha Ramid,  avait qualifiées en octobre 2014  lors d’une journée d’étude de  l’Observatoire marocain des  prisons (OMD) de «solution  fondamentale» aux problèmes  inhérents aux peines classiques  privatives de liberté et que l’avantprojet  dans ses articles 35-1 à  35-15 consacre. De même, alors  que le PJD ne semblait jusque-là  que peu porté sur des réformes  en la matière, le mariage forcé  se voit également puni (article  503-2-1). Cela étant, serait-ce  exact d’exciper d’avancées  significatives? La question se pose  d’autant qu’en contrepartie l’on  observe une régression plus ou  moins sensible à certains points  de vue, principalement en matière  de libertés individuelles, relève-ton  sur la toile.

Viol et inceste
Ainsi en plus d’éluder certaines  orientations ayant récemment  émaillé le débat public en rapport  notamment avec l’avortement  clandestin –les tenants les  moins “radicaux” de la pratique  demandant sa légalisation en cas  de viol, inceste ou malformations  profondes du foetus; les autres sa  dépénalisation complète– il ne  fait que peu cas à certains égards,  poursuivent les mêmes critiques,  des conventions internationales  ratifiées par le pays, voire s’inscrit en contradiction avec la  Constitution. L’exemple le plus  éloquent étant le maintien de la  peine de mort –avec toutefois la  réduction du nombre d’infractions  concernées de trente-trois à onze–  malgré que la loi fondamentale  dans son article 20 accorde la  primauté au droit à la vie sur tout  autre droit humain.
En outre, que l’avant-projet,  pour en revenir à l’avortement,  n’ait pas pris en considération le  fait que le débat était toujours  en gestation, surtout que le roi  Mohammed VI, le 17 mars 2015,  s’était personnellement saisi  de la question en confiant son  examen au ministre de la Justice,  M. Ramid, celui des Habous et  des Affaires islamiques, Ahmed  Toufiq, et le président du Conseil  national des droits de l’Homme  (CNDH), Driss El Yazami, laisse  l’impression d’une production  coupée de sa réalité, entièrement  façonnée dans les crédences du  ministère de la Justice et des  Libertés, ajoute-t-on.

Caractère passéiste
Autant d’éléments que  pourfendent les organisations  non gouvernementales (ONG),  dont le Mouvement Anfass  démocratique, auteur d’une  pétition en objection à l’avantprojet.  «Il ne s’agit pas de rejeter  l’avant-projet dans sa globalité»,  tempère Marouane Mourabite,  membre du mouvement, «mais  les dispositions qui à notre sens  revêtent un caractère passéiste,  en opposition avec les velléités  abolitionnistes chez nombre de  Marocains en 2015».
Il évoque en outre le Code  numérique, que le ministère de  l’Industrie, du Commerce, de  l’Investissement et de l’Economie  numérique avait soumis à  discussion en 2013 avant de le retirer du fait du rejet unanime  de ses inclinations liberticides, et  dont on retrouve néanmoins les  relents dans l’avant-projet de code  pénal. Pour M. Mourabite, l’avantprojet  se trouve à la confluence du  «conservatisme politique» et du  «conservatisme religieux» dont le  PJD se ferait l’avocat. «Cela étant»,  remarque notre interlocuteur,  «l’avant-projet demeure au final  un avant-projet de l’ensemble du  gouvernement et non uniquement  du PJD».

Charte de la majorité
C’est à ce niveau que la question  se pose. Comment les autres partis  de la majorité, le Rassemblement  national des indépendants  (RNI), le Mouvement populaire  (MP) et le Parti du progrès et du  socialisme (PPS), à considérer  qu’il s’agisse d’un avant-projet  liberticide, ont-ils laissé passer  la pilule? L’ont-ils laissée passer à vrai dire? L’interrogation est  légitime d’autant qu’il ne s’agit  pas de la première fois qu’un  ministre du gouvernement  Abdelilah Benkirane ne se serait  pas concerté avec les autres  formations au préalable à la  soumission d’un texte.
Il en est ainsi du Code numérique  mentionné par ailleurs et plus  emblématiquement des cahiers  des charges au moyen desquels  le parti de la lampe, plus  spécifiquement le ministre de  la Communication, porte-parole  du gouvernement, Mustapha El  Khalfi, a tenté quelques mois après son installation en 2012 d’islamiser  si ce n’est de “PJDiser” la radio et  la télévision publiques et contre  lesquels les autres éléments de la  majorité, principalement le PPS  en la personne de son secrétaire  général, Mohamed Nabil  Benabdallah, s’était posé en faux.  S’il est vrai que le gouvernement  Benkirane, surtout dans sa  version remaniée en 2013 avec  l’intégration du RNI en lieu et place  du Parti de l’Istiqlal (PI), semble  plus enclin à la composition,  l’Exécutif n’en demeure pas moins,  du fait d’abord de son caractère  hétéroclite, foncièrement  fragile. Il faut rappeler à titre  d’illustration que la charte de la  majorité, définissant la politique  du gouvernement, avait nécessité  de nombreux mois avant son  adoption.
De fait, il n’est pas à écarter que  le RNI, le MP et le PPS puissent  opposer à l’avant-projet certaines réserves lors du colloque national  que s’apprête à consacrer le  ministère de la Justice et des  Libertés le 20 avril 2015.
Enfin, les yeux sont rivés sur le  Palais où le Roi, qui au titre de  l’article 42 «veille à la protection  (…) des droits et libertés des  citoyennes et des citoyens», aurait  son mot à dire au cas où la preuve  serait apportée que l’avant-projet  mettrait un frein à l’exercice de  ces droits et libertés. En aval,  il peut demander une nouvelle  lecture du projet de loi sans que  cette lecture puisse être refusée  (article 95).

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