Mezouar est arrivé...

Mustapha Sehimi

Le nouveau patron de la Confédération générale des entreprises du Maroc reprend à son compte la problématique de la nécessité d’un nouveau modèle de développement.

C’est fait! Donné gagnant, Salaheddine Mezouar a été élu, mardi 22 mai 2018, président de la CGEM, avec 5.173 voix, contre 1.432 pour Hakim Marrakchi. Un scrutin qui a enregistré une forte mobilisation des membres de la confédération patronale. Un vote démocratique mettant fin à une certaine pratique qui prévalait jusqu’alors où un consensus concocté en amont –non sans accompagnement makhzénien…- imposait pratiquement un nom. Enfin, une compétition qui a nourri durant des semaines un débat sur la place et le rôle des opérateurs économiques nationaux dans le Maroc d’aujourd’hui et de demain.

Le binôme Hakim Marrakechi-Assia Benhida avait privilégié, lors de la campagne, l’entreprise à libérer de toutes les contraintes. Il s’était également présenté comme le défenseur de la PME. Il mettait en avant sa connaissance de terrain de ce tissu économique qui constitue quelque 95% de l’appareil de production. Un argumentaire qui n’a donc pas été jugé suffisamment attractif pour lui permettre de l’emporter. C’est qu’en face, Salaheddine Mezouar –avec son colistier Fayçal Mekouar- avait d’autres atouts dans sa manche.

Un parcours, une visibilité, une expérience de haut niveau tant au plan gouvernemental que politique, enfin un carnet d’adresses à l’international. Il n’y avait pas photo, pourrait- on dire. Le nouveau président de la CGEM, durant des semaines, a sillonné lui aussi pratiquement toutes les régions du Royaume, provoquant le débat, sans langue de bois. Interpellatif et même critique, il l’a été en termes clairs, soulignant que la période actuelle est «marquée par une panne de confiance, une panne d’investissement et donc de l’emploi». Il a plaidé, face à un monde d’incertitudes, pour une économie à relancer.

Voilà qui se distingue d’un certain discours officiel de l’actuel cabinet Saâd Eddine El Othmani ne résistant pas à des annonces et à des postures sans s’engager dans la mise en oeuvre des réformes à l’ordre du jour. Salaheddine Mezouar veut «un électrochoc économique». Comment ? Par la mise en place d’un mécanisme permettant aux PME –et surtout TPE– d’accéder au financement en levant les hypothèques requises aujourd’hui sur leurs biens personnels. Par la réactivation du dispositif de garantie du fonds de roulement des entreprises. Par un nouveau régime de l’investissement lequel est pénalisé par l’application d’une TVA de 20%, une taxation à supprimer. Par la consolidation du tissu d’entreprises et le contrôle des importations sauvages qui génèrent une concurrence déloyale...

Salaheddine Mezouar va plus loin encore. Il prône une réarticulation de la CGEM en direction des régions avec la création de douze antennes; c’est dans ces territoires en effet que se trouve le grand gisement des potentialités devant être valorisées, même si la grande métropole de Casablanca capte près de 40% des flux d’affaires et d’investissement. Il appelle instamment à des mesures opératoires résorbant le problème des délais de paiement de l’État et des entreprises publiques de l’ordre de 9 mois en moyenne et qui asphyxient pratiquement les entreprises, surtout les PME. Il insiste sur le mise sur pied d’un Small Business Act réglementant les rapports entre l’État, les grandes entreprises et les PME pour contenir l’abus de position dominante. À ses yeux, un pacte de confiance doit être élaboré avec l’État, l’administration et les partenaires syndicaux et autres. Il reprend ainsi à son compte la problématique de la nécessité d’un nouveau modèle de développement adossé aussi à un pacte social. L’entreprise et l’entrepreneur au Maroc ont mauvaise presse, l’argent est devenu «tabou», clame-t-il; or une nouvelle culture s’impose parce que c’est l’entreprise tournée vers le profit qui crée des richesses, donc de la croissance et de l’emploi.

Son mandat est de trois ans, jusqu’à 2021. Un agenda politique aussi puisque c’est le terme normal de la présente législature. Il a une mission. Il a des atouts servis par la multiplicité cumulative de sa carrière. Il aura aussi à dynamiser davantage la diplomatie économique de la CGEM en Afrique et ailleurs, laquelle est un acteur du leadership du Maroc. Ministre des Finances, puis des Affaires étrangères et président de la COP22, il a ainsi capitalisé une expertise, des compétences et un relationnel local et international de premier plan. Il ne peut pas se permettre de gérer son nouveau «statut» sans vagues –il le sait; et il mesure qu’il a un cahier de charges devant faire bouger les lignes avec une vision, du volontarisme et une autre gouvernance de la CGEM.

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