Les médecins du privé crient leur déteresse


Grèves dans le secteur de la santé


La médecine privée malade du manque de pouvoir de son ministère de tutelle. Tarifs inchangés depuis 2006; acharnement du fisc, absence de couverture sociale.

Les médecins privés savent innover lorsqu’il s’agit de défendre leur métier et leurs revenus. C’est en soit un point distinctif par rapport à la nature de leur fonction et au sentiment des patients qui doivent mettre la main à la poche. La grève qu’ils ont observée le 18 octobre 2018, n’est pas un arrêt de travail du même tonneau de banalité que dans d’autres secteurs.

C’est une grève rythmée à raison d’un jour par mois pendant trois mois. Ça s’appelle le droit de grève dont le texte de loi, disons-le en passant, devrait être soumis au parlement incessamment.
Ce nouveau produit balancé dans le champ syndical nous donne trois dates, en plus du 18 octobre, le 22 novembre et le 20 décembre 2018. Retenez bien ces dates au cas où vous auriez des consultations régulières auprès de votre médecin traitant. Cette technique novatrice de protestation a été votée à l’unanimité par une assemblée générale regroupant l’ensemble des structures de la médecine privée et des nombreux organismes syndicaux qui les représentent. Ils sont six à s’activer dans leur centrale syndicale préférée selon leurs penchants socio-politiques.

Une technique novatrice
Il y a eu tout de même une exception, comme pour rappeler que la généralisation est un point de faiblesse de l’argumentaire. Le CNOM (Conseil national de l’Ordre des médecins) n’est pas dedans. Il n’a pas pris part au mouvement de grève. Et pour cause, l’Ordre des médecins est une institution officielle, avec pour mission centrale de porter un regard régulateur sur la pratique de la médecine au Maroc.

L’attitude du CNOM reste d’importance pour un mouvement qui se veut représentatif de l’ensemble de ce corps de métier. Ceci dit, le rapport de forces au sein du CNOM n’est tout de même pas arbitraire. Il est électif. Sauf qu’avec un système de «vote universel» au détriment d’un «vote censitaire», on donne plus de chances au secteur public d’être majoritaire au CNOM. Ce qui est le cas actuellement. Si c’était l’inverse, le CNOM aurait réagi différemment. Pas sûr à 100%, mais très probable. Un médecin privé qui fait grève suscite un peu plus d’interrogations qu’un gréviste enseignant, par exemple. Dans l’imaginaire populaire, un médecin privé est forcément riche. Son cabinet ou sa clinique seraient de véritables machines à sous; pourquoi alors veut-il en avoir plus? Rien n’est moins vrai, à cause là aussi d’une généralisation trompeuse.

Porter son choix sur un médecin plus qu’un autre ne renvoie pas forcément à une compétence avérée. Si c’était le cas, justice serait faite par la seule loi du marché et nulle place à un débat pour rien. Face à une foultitude de facteurs en la matière, l’indice de conformité avec une règle définie est faible.

Reconnaissance de l’utilité publique
Le mieux serait de chercher le pourquoi de cette grève, du côté des revendications. En clair, qu’est-ce qui fait bouger les médecins privés au point d’afficher porte close à la figure de leurs patients? Le cahier de doléances est riche et varié, mais certaines d’entre elles sont plus parlantes que d’autres. Bien qu’elle ne soit pas affichée en premier, l’une des principales revendications des médecins privés est la révision de la tarification nationale de référence, inchangée depuis 2006.

Les médecins se plaignent aussi de ce qu’ils appellent «l’acharnement fiscal» à leur égard. Ils ne comprennent pas pourquoi ils sont moins bien traités que les entreprises à but lucratif, ils exigent alors la reconnaissance du caractère d’utilité publique du travail du médecin libéral.

Comble de l’injustice à leur égard, les médecins privés ne bénéficient d’aucune forme de protection sociale, ni assurance maladie, ni retraite. Il y a bien une loi favorable à la levée de cette grosse lacune qui a été élaborée depuis 16 ans sans qu’elle n’ait trouvé la voie de la mise en oeuvre. En définitive, les médecins voudraient bien que leur ministère ait un tant soit peu de pouvoir effectif au sein du gouvernement. Au final, les grévistes n’en veulent pas tant à leur tutelle ministérielle.

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