Une démocratie, deux Maroc

Il y a comme un consensus à propos d’une démocratie marocaine sur la bonne voie. Elle aura même un peu plus progressé lors des toutes dernières élections. Une gratification, surtout lorsqu’elle vient d’un ailleurs qui chatouille l’égo patriotique de tout un chacun. Il n’en demeure pas moins que la démocratie, aussi primordiale soit-elle, n’est qu’un moyen. Elle doit permettre de réaliser des projets de société à la mesure des valeurs de liberté et d’humanisme qu’elle porte.
Lorsqu’on parcourt le pays aux quatre points cardinaux, on découvre que le Maroc n’est pas une entité homogène, qu’il n’est pas beaucoup ou du tout parcouru par les idéaux d’équité et d’égalité véhiculés par la démocratie. Surtout sous le regard scrutateur d’un étranger. Le concitoyen, lui, n’a pas besoin de faire des kilomètres pour le savoir. Le constat est vite fait, celui d’une énorme fracture sociale aggravée par des disparités géographiques criardes. Alors on relativise la portée vraie d’une gouvernance frappée du sceau démocratique.
Une question vient à l’esprit. Comment les Marocains ont-ils vécu la campagne électorale et reçu les résultats du scrutin du 7 octobre 2016? Quel était leur sentiment du moment et par quelles idées étaientils habités? Il est évident que chacun ne pouvait réagir que par rapport à ses conditions d’existence, ses problèmes et ses attentes.
L’électeur du douar montagneux se demande si la piste qui mène à son village sera un jour au moins carrossable, au mieux goudronnée. Si son espérance de vie suffira pour voir apparaître un dispensaire, avec un médecin et un infirmier à temps plein; et une école, de préférence avec un instituteur souvent présent. Bref, un service public minimal et vital. Quant à l’électeur fraîchement ou anciennement citadin, il est surtout face au chômage persistant de sa progéniture devenue adulte.
Dans ce genre de parallèle, la ligne de séparation habituelle entre villes et campagnes devient de plus en plus virtuelle; tellement la ville se ruralise par un exode irrésistible et la campagne est gagnée par une urbanisation galopante et spéculatrice. La ville est plurielle. Certaines de ses composantes ne sont pas mieux loties que les campagnes. Pour la première fois de sa jeune histoire, le suffrage universel et pluraliste se déroule sur un fond de répartition démographique où les citadins sont plus nombreux que les ruraux (environ 55/45%). En fait, qu’ils soient dans les campagnes ou dans les médinas et les ceintures suburbaines, l’un et l’autre de cet électorat appartiennent au Maroc d’en bas.
Un Maroc que l’on ne peut regarder sans le voir, tellement sa marginalité est criarde. Les échéances électorales se succèdent, des générations d’élus se suivent, mais les problèmes n’ont pas eu de réponses à effet visible et les conditions de vie n’ont pas changé. Il semble que les électeurs de cette catégorie socio-économique; surtout celle de l’espace urbain, soient un peu moins aiguillonnés par l’autorité administrative; contrairement à leurs compatriotes des campagnes où le cheikh de l’arrondissement veille au grain. Toujours est-il que les uns et les autres ne sont pas certains de constater l’effet visible sur leur quotidien d’une démocratie que l’on chante parce qu’elle aurait suffisamment mûri pour être définitivement mise sur rails.
Par contre, tout indique que l’autre Maroc, celui d’en haut, se porte bien. Il prospère, tant au niveau de son noyau premier des rentiers de l’indépendance que dans sa périphérie de nouveaux riches; généralement la même filiation où se rencontrent pouvoir et avoir. Sa progression et ses signes extérieurs de richesse sont ostentatoires, au point d’être impudiques. Moralité de l’histoire, si une démocratie ne réduit pas ces disparités criantes, c’est qu’elle ne s’est pas réellement perfectionnée. La prochaine alliance gouvernementale sera jugée à l’aune de cette ligne de partage.