Après l’accord agricole, le Parlement européen entérine à une écrasante majorité l’accord de pêche Maroc-UE. Un verdict qui enterre les manigances de l’Algérie.
De l’Australie, où il se trouvait en visite à la tête d’une délégation d’officiels marocains, Aziz Akhannouch pouvait bien fanfaronner, ce mardi 12 février 2019: à une large majorité (410 voix pour, contre seulement 189 contre et 49 abstentions), le Parlement européen a adopté la nouvelle version de l’accord de pêche avec le Maroc. «Ce vote conforte le Royaume dans un partenariat qu’il a toujours considéré comme durable, fiable et bâti sur un socle solide de coopération entre deux partenaires historiques,» a, ainsi, réagi le ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, dans une déclaration aux médias.
“Souveraineté permanente”
Exagérés, ces propos de M. Akhannouch? Tant s’en faut. En vérité, ce coup d’éclat de la diplomatie nationale est tel que plusieurs heures après le vote, l’Algérie paraissait encore sonnée. Par la voix de son agence de presse officielle, Algérie presse service (APS), la voisine de l’Est continuait ainsi de dénoncer, en espérant peut-être conjurer le sort, un accord qui, selon elle, «enfreint le droit international humanitaire et compromet les efforts de paix des Nations unies dans la région». Vaste programme! Ces arguments avaient certes fait mouche, ces dernières années, auprès de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), saisie le 19 novembre 2012 par l’Algérie en passant par le Front Polisario pour annuler le précédent accord, signé le 24 juillet 2013 et entré en vigueur le 15 juillet 2014.
En effet, le mouvement séparatiste sahraoui avait avancé que le Maroc n’était, au titre du droit international, pas souverain dans son Sahara et qu’il ne pouvait, par conséquent, accorder la jouissance de ses ressources halieutiques sahariennes à autrui, sachant pourtant que l’Organisation des Nations unies (ONU) considère que l’exploitation des ressources naturelles des territoires non autonomes, tels le Sahara marocain, «comme compatible avec les obligations qui incombent aux puissances administrantes en vertu de la Charte et conforme aux résolutions de l’Assemblée générale, ainsi qu’au principe de la «souveraineté permanente sur les ressources naturelles» qui y est consacré, » du moment qu’elle se fait au bénéfice des peuples de ces territoires, en leur nom, ou en consultation avec leurs représentants -propos tenus par l’ancien conseiller juridique de l’ONU, Hans Corell, dans une lettre datée du 29 janvier 2002.
La CJUE ne l’entendra cependant pas de cette oreille et donnera raison, le 10 décembre 2015, au Polisario. Le 27 février 2018, la cour confirme son arrêt, malgré que la Commission européenne elle-même, en mettant l’accent sur son «engagement » envers le Maroc, semble s’en désolidariser. Mais on n’y prendra cependant pas à deux fois les instances du Vieux continent. Ainsi, l’Algérie a, jusqu’au dernier moment, tant bien que mal essayé de faire capoter le nouvel accord: le 6 février, elle introduit, via des eurodéputés verts et sociaux-démocrates mal informés sur le conflit du Sahara marocain, un recours exigeant un avis préalable de la Cour de justice de l’UE; cependant que celui-ci est, par 410 voix, rejeté.
Avantages économiques
La voisine de l’Est reçoit même le coup de massue, quelques heures après le vote pour le nouvel accord de pêche, de la part du tribunal de l’UE, qui rejette la demande déposée en avril 2018 par le Polisario de bloquer la proposition du Conseil de l’UE de négocier un accord incluant explicitement le Sahara marocain dans l’accord de pêche avec le Maroc. «Le Royaume du Maroc exprime son appréciation quant à l’action collective des institutions européennes et des Etats membres de l’UE et salue leur engagement continu en faveur du partenariat stratégique qui les lie au Royaume du Maroc,» s’est ainsi félicité, dans un communiqué, le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale. Pour sa part, le commissaire européen à l’Environnement, aux affaires maritimes et à la pêche, Karmenu Vella, a qualifié de «très bonne nouvelle pour les deux rives de la Méditerranée» le vote favorable à l’accord de pêche avec le Maroc du Parlement européen et a affirmé qu’«il s’agit d’un véritable partenariat générant des avantages économiques, contribuant à une pêche plus durable et améliorant la gouvernance». «L’accord et son protocole valables pour 4 ans renforceront encore le partenariat stratégique entre l’Union et le Maroc dans le secteur de la pêche,» a-t-il également déclaré. Le parcours ayant mené au vote pour l’accord par le Parlement européen n’en a pas moins, pour autant, été semé d’embûches.
Ainsi, au départ, au moment où la Cour de justice de l’UE rend son premier arrêt, les autorités marocaines semblent sonnées. Dans un communiqué, le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale «s’interroge (...) sur l’opportunité du maintien de l’édifice contractuel que les deux parties ont réussi à construire sur de longues années dans les domaines politique, économique, humain et sécuritaire ». Les mots trahissent le sentiment profond des responsables marocains. «Le Maroc suivra avec vigilance le déroulement d’une péripétie judiciaire à forte connotation politique et prendra, le cas échéant, les mesures qui s’imposent, » souligne le ministère.
Vigilance et mobilisation
La péripétie judiciaire en question mettra donc plus de deux ans à venir à terme. Ce n’est qu’après la confirmation définitive de l’arrêt de la Cour de justice de l’UE que la machine diplomatique peut véritablement s’enclencher. En juillet 2018, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Nasser Bourita, parle même de «mobilisation». Malgré le camouflet de la Cour de justice de l’UE, les nouvelles tractations semblent s’annoncer bon train surtout que de l’autre côté, la Commission européenne veut également parvenir à un accord: il faut dire que plus d’une centaine de bateaux européens en profitent et qu’il n’est pas dans l’intérêt des instances dirigeantes européennes de se retrouver, avec sur les bras, les milliers de personnes qui en vivent au chômage technique, sinon au chômage tout court. Ainsi, dans la foulée de l’arrêt définitif de la Cour de justice de l’UE, elle confirme son «attachement», dans un communiqué publié conjointement avec le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, «au partenariat stratégique entre le Maroc et l’Union européenne et leur détermination à le préserver et à le renforcer».
Au profit des populations locales
Puis, le 21 mars, elle se dit officiellement favorable à un accord s’étendant du Cap Spartel au Cap Blanc, c’est-à-dire en comprenant le Sahara marocain. S’en suivent, à partir du 16 avril, sept rounds de négociations qui, au bout de trois mois, débouchent sur un nouvel accord, signé le 20 juillet. Ce dernier est, à plus d’un titre, plus gagnant pour le Maroc que le précédent. D’abord donc, il fait mention du Sahara marocain comme étant explicitement une région sous souveraineté marocaine. M. Bourita avait ainsi bien fait savoir, au préalable, «le Maroc ne peut, en aucun cas, ratifier un accord qui ne couvre pas toutes les parties de son territoire». Ensuite, la contrepartie européenne est passée de 40 millions d’euros seulement à plus de 52 millions, soit une hausse de plus de 30%. Des deux côtés, les dispositions sont également prises pour que ce montant soit proportionnellement réinvesti au Sahara marocain, au profit des populations locales.
Ces dernières, en ce qui s’agit du volet saharien, ont d’ailleurs été associées aux négociations. Même le Polisario y a été convié, mais il a, de son propre chef, refusé d’y répondre présent. Dans le même sillage, le nouvel accord prévoit que 15%, et non plus seulement 5%, des équipages soient marocains, ce qui devrait offrir davantage d’opportunités d’emplois au Sahara marocain. Enfin, l’aspect environnemental n’a également pas été escamoté, puisque plusieurs exigences techniques ont été introduites en ce qui s’agit de la préservation de la durabilité des ressources halieutiques et de la protection de l’environnement marin.
Opportunités d’emplois au Sahara
A titre d’exemple, les plafonnements de captures de petits pélagiques au sud tels la sardine, le maquereau, le chinchard, l’anchois et la sardinelle ont été révisés, et ce en adéquation avec le cycle de vie de ces espèces, et certaines espèces à préserver tels le poulpe et la crevette, dont la gestion fait l’objet de plans d’aménagement stricts, n’ont pas été incluses.
En outre, la Méditerranée est demeurée exclue de l’accord. Côté européen, la Commission parvient à arracher une légère augmentation du nombre de bateaux autorisés, passant de 126 à 128. En somme, un accord win-win, que valide le Conseil de l’UE le 29 novembre 2018 et qui, le 14 janvier 2019, est définitivement entériné. Ne manquait que l’accord du Parlement, qui vient donc d’être obtenu. L’accord court en principe pour les quatre prochaines années et, d’ici là, on imagine bien l’Algérie manigancer en coulisses pour le torpiller. Mais il en faudra, quoi qu’il en soit, bien plus, beaucoup plus, pour espérer faire plier le Maroc...