
Dans ce remue-ménage frappant les partis, suite à la formation du gouvernement El Othmani, se pose un problème de fond: celui de leur repositionnement dans le Maroc d’aujourd’hui.
C’est vrai qu’il y a bien des divisions et des dissensions aujourd’hui dans la majorité des partis. A quoi tient cette situation, qui fragilise les formations politiques? Une première raison tient à des ambitions ministérielles qui n’ont pas été satisfaites dans le nouveau gouvernement de Saâd Eddine El Othmani, nommé le 5 avril 2017. Le phénomène n’est pas nouveau dans la pratique institutionnelle: chaque fois qu’il y a eu en effet un nouveau gouvernement, il y a eu des déçus, c’est-à-dire des “ministrables” qui n’ont pas été retenus. Mais la déception et l’amertume ne dépassaient pratiquement pas les états d’âme et la bouderie.
Or, aujourd’hui, le même phénomène se manifeste mais il génère des conséquences différentes, plus déstabilisantes pour chacun des partis concernés. Au Mouvement populaire, aucun ancien ministre n’a été reconduit; c’est une sanction. C’est aussi la comptabilisation sur le MP de Mohamed Hassad et de Larbi Bencheikh, le premier au ministère de l’Éducation et le second au secrétariat d’État à la Formation, qui pose problème.
C’est un bilan d’échec du MP quant à sa capacité à placer ses candidats à des postes ministériels. Nul doute que la direction actuelle du parti haraki devra rendre des comptes. Une difficulté de même nature se présente avec l’Union constitutionnelle de Mohamed Sajid. De même que pour l’Union socialiste des forces populaires. Driss Lachgar peut sans doute mettre en avant son actif: avec un modeste effectif de 19 députés seulement, il a décroché pour son parti la présidence de la Chambre des représentants et trois départements ministériels. Mais, précisément, ce “gain” a réactivé la contestation dans les rangs de l’USFP, du côté de “ministérables” déclarés ou non.
Mais ce qui se passe au sein du Parti de la justice et du développement est sans doute d’une autre dimension. Jusqu’à présent, c’était un parti homogène, discipliné. Avec le bilan de ce qui s’est passé depuis 6 mois, les choses ont changé. Benkirane est -et reste– sur une ligne qu’il défend et qu’il assume: il vient encore de le réaffirmer. Cette ligne n’est pas celle des “partipationnistes” avec El Othmani et ses nouveaux soutiens, Mustapha Ramid et Mohamed Yatim, en particulier, ainsi que Aziz Rebbah et Abdelkader Amara. Quel est le tableau? Deux lignes parce que deux évaluations bien différentes de la conjoncture actuelle, le divorce portant la valorisation qui a été faite des résultats législatifs du 7 octobre dernier. Il va y avoir un décrochage du gouvernement El Othmani, par touches successives, par rapport au PJD, à son programme et à ses valeurs. Tout cela va peser dans les mois à venir. Ce n’est pas neutre, par exemple, que Benkirane ait démissionné de son mandat de député de Salé: il ne veut pas voter l’investiture au gouvernement El Othmani; c’est plus que de l’abstentionnisme, c’est un boycott, une rupture lui permettant de sortir du “système” mis sur pied avec Akhannouch et ses alliés. Le calendrier à venir va-t-il faire baisser cette tension? C’est difficile à croire parce que le PJD est désormais tourné vers le prochain congrès pour l’automne prochain. D’ici là, se posera la question du rapport de forces au sein du PJD. Et les premiers mois du gouvernement El Othmani vont servir à Benkirane pour souligner qu’il y a des régressions par rapport aux options et aux priorités de son gouvernement (2012-2016).
Dans tout ce remue-ménage frappant le système de partis, des tendances lourdes sont en marche. Peut-on réduire ces mutations et ces changements à un seul fait générationnel? Oui, sans doute, mais ce serait un peu court. C’est qu’en effet se pose globalement un autre problème de fond: celui de leur repositionnement dans le Maroc d’aujourd’hui. Ils ont été aspirés par leur participation gouvernementale, à un titre ou à un autre, suivant des modalités variables, et ils en subissent les effets. Leur identité propre s’est quelque peu diluée, leur attractivité a été écornée aussi. Du coup, les clivages finissent par perdre beaucoup de leur pertinence, voire de leur “légitimité”