
Interview. Madrid veut faire main basse sur les ressources naturelles du large des Iles Canaries en revendiquant une extension de ses frontières maritimes non encore délimitées avec le Maroc. Un prélude à une crise diplomatique qui se profile à l’horizon et qui risque d’envenimer les relations bien entretenues depuis quelque temps entre les deux pays. Le point avec le conseiller et l’analyste politique à New York, Samir Bennis.
Maroc Hebdo: Pourquoi l’Espagne a choisi ce moment pour réactiver le dossier d’extension des eaux territoriales des Iles Canaries?
Samir Bennis: Pour des raisons économiques liées à l’existence supposée de richesses en hydrocarbures, l’Espagne a toujours eu des visées sur les eaux territoriales adjacentes aux Îles Canaries et depuis plusieurs années elle visait à étendre sa souveraineté sur cette zone au-delà des 200 milles marins. Dans cette optique, et conformément à la pratique établie par la commission onusienne chargée de l’étude des demandes d’extension de souveraineté sur les eaux territoriales, les Etats membres sont tenus de présenter les éléments préliminaires qui soutiennent leur position cinq ans au préalable avant la présentation des arguments scientifiques.
Chose que l’Espagne a faite, car elle avait présenté ces éléments dès le 11 mai 2009. Cinq après, l’Espagne défendra, l’été prochain, sa position devant la Commission des limites du plateau continental de l’ONU. Par conséquent, il ne faudrait pas donner une lecture politique quelconque à la démarche du gouvernement espagnol, car celle-ci rentre dans le cadre du délai prévu par les instances onusiennes pour se pencher sur l’étude de toute demande d’extension des zones territoriales présentée par les Etats membres.
Sur le plan du droit international, quelles sont ses chances de faire aboutir sa requête?
Samir Bennis: La position de l’Espagne concernant l’extension de sa zone maritime au-delà des 200 milles marins est étayée par le droit international. Conformément à la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer de 1982, la frontière maritime de tous les Etats membres est fixée à 200 milles marins depuis la ligne de leurs côtes. Mais la même convention permet aux Etats membres d’étendre leurs eaux territoriales jusqu’à 350 milles marins.
Ceci dit, même si l’Espagne se prévaut du droit international pour étayer sa position, il y a peu de chances que sa demande aboutisse. D’une part, il faut tenir en compte que sur 77 demandes enregistrées auprès de la Commission des limites du plateau continental de l’ONU, 17 demandes seulement ont abouti. D’autre part, il y a un différend entre le Maroc et l’Espagne sur la délimitation de cette zone maritime, sans oublier l’absence d’une solution définitive à la question du Sahara. Ces éléments seront forcément pris en compte par la commission onusienne et ne joueront pas en faveur de la demande espagnole.
Quelle a été la réaction marocaine?
Samir Bennis: Tout naturellement, le Maroc a rejeté la demande espagnole. Dans ce sens, le 10 mars 2015, le gouvernement marocain a adressé une lettre à la Commission des limites du plateau continental de l’ONU dans laquelle il exhorte celleci à donner une fin de non-recevoir à la demande espagnole. Pour le gouvernement marocain la position espagnole est intenable, car la zone maritime qu’elle veut obtenir fait partie du plateau maritime marocain et se trouve dans une zone où il n’existe pas encore de délimitation des frontières entre les deux pays.
Quelle devrait être la position marocaine pour clore cette affaire une fois pour toutes?
Samir Bennis: Je ne pense pas que cette question soit close de sitôt tant que le conflit du Sahara marocain ne trouvera pas une solution politique définitive, car il faudrait garder à l’esprit que l’essence du différend entre le Maroc et l’Espagne sur la question des frontières maritimes réside dans le fait que la zone maritime revendiquée par l’Espagne inclut une partie considérable des eaux territoriales du Sahara, qui est, “de facto” et non “de jure”, sous souveraineté marocaine. Eu égard aux relations stratégiques et privilégiées qui existent entre les des pays, il n’est dans l’intérêt d’aucune des deux parties que leurs relations soient affectées par ce dossier. Les gouvernements des deux pays seront appelés à trouver un terrain d’entente pour éviter que la question de la délimitation de leurs zones maritimes respectives ne fasse rentrer leurs relations dans une zone de turbulence.
N’y a-t-il pas un risque de voir naître un conflit diplomatique, voire militaire?
Samir Bennis: L’option militaire est totalement à exclure dans toute résolution de conflit entre le Maroc et l’Espagne. D’une part, les relations entre le Maroc et l’Espagne sont régies par l’accord de coopération et de bon voisinage entre les deux pays, signé à Rabat le 4 juillet 1991. En vertu de l’article 5 de cet accord, les deux parties s’engagent à régler tout contentieux qui puisse surgir entre eux par des moyens pacifiques. D’autre part, les deux pays ont besoin l’un de l’autre dans différents domaines et aucun d’eux ne risquerait de s’embarquer dans une aventure militaire surtout lorsqu’on sait que les deux pays disposent de canaux de communications qui leur permettent de résoudre leurs contentieux par la voix diplomatique.
En définitive, on peut dire avec certitude que l’option militaire est complétement exclue de l’équation en l’état actuel des relations entre les deux pays.