Droit dans le mur


Le PJD perd de plus en plus de son aura


Comme l’Union socialiste des forces populaires en son temps, le Parti de la justice et du développement donne l’impression d’être éprouvé par le pouvoir.

Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne. Abdelilah Benkirane doit en savoir quelque chose. Hier encore au firmament, quand le Parti de la justice et du développement (PJD) terminait deux fois de suite, sous son commandement, premier des élections législatives, le voilà réduit au simple rôle de spectateur de la vie politique depuis qu’il n’est plus secrétaire général de la formation islamiste. On imagine le crève-coeur que cela peut représenter pour lui, homme d’action par excellence: son numéro, en février 2018, au VIe congrès de la jeunesse du PJD, où il s’était pêle-mêle attaqué au ministre de l’Agriculture et secrétaire général du Rassemblement national des indépendants (RNI), Aziz Akhannouch, au premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), Driss Lachgar, ou encore bien sûr au fameux «tahakkom», apparaît a posteriori comme le baroud d’honneur d’un politique qui refuse de se laisser démonter, bien qu’à l’évidence son temps soit révolu.

Au contraire de le servir, cette sortie avait d’ailleurs davantage poussé M. Benkirane vers la sortie, puisque le bruit court que ses frères lui auraient «gentiment» demandé en aparté de cesser de rendre difficile la vie de son successeur aussi bien à la tête du PJD qu’à la primature, en l’occurrence Saâd Eddine El Othmani, peu servi par les mises à l’amende de ses alliés dans son gouvernement.

Un tribun haut en couleurs
Depuis, c’est pour timidement appuyer le chef de l’Exécutif qu’il a daigné quelquefois s’exprimer, dans des propos plutôt mièvres et sans rapport avec l’image de tribun haut en couleurs qu’il s’est construite tout au long de ses quarante années de politique. Les déclarations qu’il a tenues en marge du dernier conseil national du PJD, samedi 15 septembre 2018 dans la ville de Bouznika, sont éloquentes à ce propos: n’était-ce sa stature, elles seraient certainement passées inaperçues.

«C’est surtout qu’il ne veut pas être accusé d’avoir mis les bâtons dans les roues de quelqu’un,» confie une source proche de M. Benkirane, en faisant référence à M. El Othmani et son gouvernement.

Le sens de la stratégie
Ce repli du zaïm islamiste est, du reste, symptomatique de celui plus général du PJD, qui tend au fur et à mesure des années passées à la tête de l’Exécutif à être usé par le pouvoir, un peu à l’image de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), qui surfait sur un large élan de sympathie et d’enthousiasme de la part des Marocains à son arrivée aux manettes en février 1998 en la personne de Abderrahmane Youssoufi, nommé premier ministre par le roi Hassan II, mais qui rapidement allait connaître l’essoufflement au point de devenir aujourd’hui un parti quelconque -à peine une vingtaine de députés actuellement. La formation de la lampe aurait d’ailleurs pu vivre ce scénario dès les élections législatives d’octobre 2016, ses premières après plus de quatre ans à diriger la majorité, mais la personnalité et surtout le sens de la stratégie de M. Benkirane, qui avait su se vendre comme victime d’un complot pour ne pas avoir à défendre un bilan socioéconomique des plus catastrophiques -et à l’origine directe des différents mouvements sociaux pullulant aujourd’hui dans les quatre coins du Royaume-, allait lui redonner du jus, dont M. El Othmani ne semble cependant pas user à bon escient.

Protéger les privilèges
Ce dernier continue, au contraire, de creuser de ses propres mains la tombe du PJD, qui semble ne survivre que sous assistance respiratoire. Courbant l’échine à tout-va et se gardant de prendre partie quand bien même il s’agit de ses prérogatives, comme lors de l’épisode du boycott de plusieurs produits de grande consommation où il s’est surtout distingué par ses tergiversations sans fin, il s’est d’autant plus entouré par une équipe à son image, dont le seul souci semble, in fine, de protéger les privilèges afférents aux postes de responsabilités octroyés à chacun de ses membres.

On a ainsi vu le ministre délégué aux Affaires générales et à la Gouvernance, Lahcen Daoudi, prendre part le 5 juin 2018 à un sitin de Centrale laitière, une des compagnies ciblées par le boycott, sachant que les principaux visés étaient les citoyens, c’est-à-dire les électeurs du PJD. Le responsable islamiste sera d’ailleurs poussé dès le lendemain vers la sortie par ses propres compères, qui s’étaient complètement désolidarisés de lui dans un communiqué rendu public à l’issue d’une réunion du secrétariat général, mais ils rétropédaleront par la suite, ce qui nous donne la situation inédite d’un ministre démissionnaire toujours en poste.

Trois ans nous séparent encore des prochaines législatives, prévues normalement en 2021, et beaucoup se demandent si avec M. El Othmani à la barre, le PJD pourra arriver à cette échéance sain et sauf. S’il échoue, ce ne sera, hélas, pas seulement le parti, mais toute la démocratie marocaine, qui pourraient y laisser leurs plumes...

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