Drame de Bouknadel: Défaillance d'une stratégie



L’accident de train de Bouknadel aurait-il pu être évité si l’ONCF avait mieux orienté ses investissements pour l’amélioration de son infrastructure ferroviaire?

Du dégoût, beaucoup de Marocains en ressentaient à mesure que les informations sur l’accident de train survenu ce mardi 16 octobre 2018 au niveau de la commune de Bouknadel, dans la préfecture de Salé, se faisaient plus précises et que, surtout, le bilan de sept morts et de cent vingt-cinq blessés était confirmé par les autorités. Pas tant en raison de l’accident en lui-même, puisqu’on voit des pays plus développés que le nôtre en connaître avec parfois un dénouement encore plus tragique, mais au regard des circonstances l’ayant entouré.

Surtout, beaucoup d’internautes ont prétendu avoir eux-mêmes pris, peu avant le drame, des trains étant passés par la même ligne et avoir éprouvé à l’endroit où il s’est produit de fortes secousses dont ils auraient tôt fait d’avertir les responsables de l’Office national des chemins de fer (ONCF), qui en retour les auraient au mieux éconduits. L’intox fait généralement florès en pareilles circonstances et impossible de démêler le vrai du faux, et d’ailleurs l’enquête qu’a ordonnée le roi Mohammed VI dans les heures qui ont suivi l’accident ne fait que commencer. Drames humains Mais elle trouve un terrain fertile dans l’inimitié que beaucoup de Marocains vouent à l’ONCF, en raison de prestations vues généralement comme sans rapport avec les prix à payer pour utiliser les trains, et surtout dans un contexte où les drames humains se poursuivent et plongent chaque jour la société marocaine davantage dans le désarroi: mort de Hayat Belkacem, une fille de 19 ans originaire de la ville de Tétouan pendant qu’elle tentait, le 25 septembre 2018, de se rendre clandestinement en Espagne, et celui de Saber El Haloui, le 7 octobre, après une chute du haut du siège du ministre de la Famille, de la Solidarité, de l’Égalité et du Développement social, où lui et d’autres malvoyants tenaient un sit-in.

Ce qui est sûr est que des responsables pourraient risquer leurs postes, que ce soit le directeur général de l’ONCF, Mohamed Rabie Khlie, qui dirige l’office depuis novembre 2002 si on compte les 20 mois où il assurait l’intérim à sa tête -sa nomination officielle n’est intervenue qu’en juillet 2004, et surtout le ministre de l’Équipement, du Transport, de la Logistique et de l’Eau, Abdelkader Amara, et le secrétaire d’État chargé du Transport, Mohamed Najib Boulif.
Ce dernier, qui assume de par ses fonctions une responsabilité politique indéniable, s’est contenté de condoléances tardives sur son compte Facebook, ce qui a eu le don de faire monter les internautes sur leurs grands chevaux. Il n’était quoi qu’il en soit pas présent aux côtés du ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, et de M. Amara sur les lieux de l’accident, où les deux responsables se sont rendus sur instructions du Roi Mohammed VI.

Solidarité spontanée
L’ONCF a pour sa part mis à la disposition de ses clients des autocars pour poursuivre leur voyage entre les villes de Salé et de Kénitra, après que le trafic ait été interrompu. Ce dernier était partiellement rétabli dans la matinée du 17 octobre. En dehors des autocars, les utilisateurs habituels des trains de l’ONCF ont surtout pu compter sur la solidarité de leurs concitoyens, dont beaucoup se sont proposés pour conduire gratuitement ceux qui le voudraient entre Kénitra et Salé et jusqu’à Casablanca. A cet égard, nombre de Marocains se sont mobilisés sur les réseaux sociaux pour donner un coup de main. Dans le même sillage, certains se sont rendus dans les centres de transfusion sanguine régionaux afin de faire don de leur sang aux victimes de l’accident qui en auraient besoin.

Des photos ont circulé montrant des étudiants faisant la file au niveau du centre d’Al-Irfane, dans la ville de Rabat, alors même qu’ils avaient cours. Beaucoup se sont cependant plaints d’avoir été traités de façon irrespectueuse par les responsables, qui se seraient plaints d’un trop gros nombre de donneurs, bien au dessus des capacités normales des centres. Mais à côté de ces images faisant chaud au coeur, plusieurs témoins ont révélé que des victimes avaient été dérobées par des voleurs sans scrupule, qui se seraient introduits dans le train aussitôt que ce dernier avait déraillé. Selon nos informations, les services de police travaillent d’arrache-pied pour les arrêter.

Depuis plusieurs années, M. Khlie est décrié pour sa gestion. Retards, conditions de voyages déplorables… En même temps, la flotte n’a été que peu renouvelée au cours des dix dernières années -les rames à deux étages comme celle ayant fait accident à Bouknadel avaient été acquises au milieu des années 2000.

Flotte vétuste
La stratégie de l’ONCF s’est surtout articulée autour de la construction de nouvelles gares, comme celles de Casa Port ou encore les deux nouvelles gares de Rabat- Ville et de Rabat-Agdal, et surtout autour de la construction de la ligne à grande vitesse (LGV), dont le coût estimé atteindrait quelque 22,9 milliards de dirhams.
La LGV a même connu des retards de livraison, puisque son chantier aurait normalement dû être bouclé en décembre 2015, mais il ne devrait finalement être terminé, dans le meilleur scénario possible, qu’en décembre 2018. Le drame de Bouknadel devrait normalement amener les responsables du secteur du transport à mieux peser leur stratégie...

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