Le choc d'une disparition

KHALIL HACHIMI IDRISSSI

Le décès de Amale Samie a constitué un vrai choc pour le corps journalistique marocain. Au demeurant, tout décès de journaliste est un vrai choc — nul n’est éternel, c’est le postulat même de la vie— mais la disparition de Amale a laissé un goût particulier d’amertume.

Tout le monde s’accorde à dire qu’il était un original! Mais c’est peu dire… C’est qu’il avait une empreinte particulière et tous ceux qui ont eu le bonheur de croiser son chemin sont affirmatifs sur cette dimension de sa personnalité.

Amale était d’emblée attachant: une bouille de bébé avec une barbe sérieuse, une expression verbale au ralenti, un accent indéfini qui ajoutait à sa tendresse spontanée et une mécanique intellectuelle peut-être suisse par sa précision et surtout dense par sa généreuse production.
Une simple paire de jeans l’habillait, un sweatshirt ou un tee-shirt avec un blouson complétait le reste en fonction des saisons et le tout donnait un air d’un adolescent avancé dans l’âge mais qui maitrisait parfaitement les codes et la culture post-soixante-huitards.

Il se considérait de gauche. Il n’ajoutait rien à cette affirmation. Mais en le fréquentant on sentait qu’il penchait plus pour l’extrême gauche que pour la gauche de gestion. Mais, en vérité, Amale Samie avait une authentique culture anarchiste. Ni Dieu ni maître, semblait-il dire avec son air de Bakounine tropicalisé! Il n’aimait pas l’injustice, les institutions aveugles, l’autorité injustifiée et aucune ne l’était suffisamment à ses yeux.

Il vomissait les pédants, les «sachants », les bourgeois, grands ou petits, les suffisants, les spécialistes, les possédants et les connaisseurs. Tous ceux-là lui arrachaient invariablement un petit sourire qui en disait long sur l’estime dans laquelle il les tenait. L’auteur de Mourir pour deux idées avait deux atouts considérables dans son métier: une plume rare avec une maitrise de la langue française exceptionnelle et un solide sens de l’humour. Les deux, maniés avec un art consommé de la rhétorique et une argumentation politique hargneuse, produisaient des textes, notamment des chroniques, d’une qualité exceptionnelle dans un métier où les plus doués écrivent rarement pour la postérité.


Des années avant l’INDH, Amale Samie savait que son engagement devait s’enraciner dans la campagne. C’est là-bas qu’il devait être, face au caïd qui était pour lui le sommet de la pyramide du pouvoir. C’était cela sa cause. Il était intimement convaincu que les gens de la ville sauront toujours se défendre et que la démocratie marocaine était surtout urbaine. Mais les gars des petits douars pauvres, déshérités, isolés et décentrés ne pouvaient jamais rien faire face à un caïd omnipotent!

C’était cela son dernier combat. Il a choisi cette figure d’autorité à un niveau précis dans un espace rural cloîtré pour mener sa dernière lutte. La lutte, au pied de l’Atlas, fut dure, usante et épique. Quand il nous racontait ses faits d’armes on ne comprenait pas toujours sa colère, ses enjeux et sa passion. Nous, on pensait tous que le bonheur était dans le pré et que sa retraite était verte, écologique. Mais, en vérité, Amale Samie avait trouvé son Larzac!

Son engouement pour les musiques alternatives était né de sa rencontre dans les années 90 avec les jeunes du Boulevard à leur tout début. Lui, il avait la culture du rock, avant qu’il ne soit hard, des années 70. Les Who, Frank Zappa, Led Zeppelin, Jimmy Hendrix, David Bowie, ZZ Top, AC/DC… Les jeunes du Boulevard, eux, s’ouvraient au Métal. Entre la nostalgie rock de Amale Samie et l’appétit de ces jeunes pour les musiques alternatives, une véritable histoire d’amour allait se nouer. Les pages de Maroc Hebdo International allaient abriter cette folle passion. La chronique de ces années de créativité intense y est écrite en lettres d’or par Amale Samie. Une autre lutte avait accaparé Amale Samie pendant des années. C’est la guerre du «e» dans Amale. La coquille d’un sombre rédacteur du service d’Etat Civil de la ville de Marrakech, où il est né, du fait des tribulations de son père fonctionnaire, allait empoisonner sa vie. Quand il s’est rendu compte que pour s’en débarrasser, il fallait qu’il fasse un procès à lui-même —un procès au père— , il a abandonné, de guerre lasse.

Le récit de cet abandon a donné lieu à une chronique qui est restée dans les annales. La presse algérienne qui soutenait les généraux lors de la guerre civile recevait souvent des commandes pour attaquer Amale Samie, qui s’était spécialisé dans la dénonciation de leurs forfaitures. Pour eux, Amale Samie était la fille de Driss Basri qui travaillait à MHI! On avait beaucoup ri à la rédaction de ces écrits de piètre facture. Les luttes des femmes marocaines, dont il était un fervent défenseur, allaient réconcilier Amale avec son «e». Il était de tous les fronts, de toutes les manifs, de tous les engagements. C’est comme cela en militant contre les islamistes pour le Plan national de l’intégration de la femme qu’il avait fini par assimiler son «e» dans une sorte d’acceptation sereine de son patronyme et de son identité personnelle.

Il restera dans notre mémoire comme un être bon, cultivé et merveilleux qui abhorrait l’injustice, qui aimait les gens et qui aimait les plaisirs de la vie. Qu’il repose, aujourd’hui, en paix.

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