Les tragédies de morts par bousculade au cours du pèlerinage sont répétitives, sans pour autant se banaliser. Elles provoquent une immense émotion à travers le planisphère musulman, comme pour dire que les mêmes causes produisent les mêmes effets. L’endroit est pratiquement invariable, le mur de la lapidation de Satan. Sur ces vingt dernières années, il y eu 1.700 morts sur cet espace de purification de l’âme. Ce dont Satan ne veut pas entendre. C’est sa fonction et sa raison d’être, après tout. Il s’en acquitte de façon satanique, naturellement. Seulement, voilà qu’un grand égyptien, Taoufik Al Hakim, aujourd’hui décédé, s’est penché sur notre conflit éternel avec Satan.
Un conflit écrit dans les livres saints des trois religions monothéistes. L’immense homme de lettres l’a évidemment fait à sa manière. Dans un recueil de nouvelles sous le titre “Le pacte de Satan”(Ahd Achaytane), il a pris la question à l’envers. La nouvelle étant un genre littéraire qui se situe dans une frontière improbable entre la fiction et la réalité. Un exercice périlleux. L’auteur nous fait assister à une entrevue entre le grand mufti d’Egypte et Satan, à la demande de celui-ci.
D’emblée, Satan se victimise. Il dit qu’il en a assez qu’on lui mette tout sur le dos. Du matin au soir, ajoute-t-il à l’adresse du mufti, vos fidèles et ceux des autres religions m’insultent et m’accusent de tous leurs méfaits, alors que, pour quelques uns au moins, je n’y suis pour rien. Ils font tellement plus et tellement mieux que je serais sans emploi s’ils assumaient un tant soit peu. Je n’en peux plus, soupire-t-il.
C’est pourquoi je voudrais abandonner mon statut maléfique et normaliser mes rapports avec vos fidèles; pour que chacun prenne ses responsabilités. Je m’en remets à vous et je vous prends à témoin. Pris de court, le grand mufti demande un délai de réflexion. Il se concerte avec les membres de son conseil, qui affichent un refus unanime et catégorique. C’est une autre supercherie satanique, jugentils. Satan est revenu bredouille, mais un peu triste, apparemment seulement, car, on ne sait jamais avec lui.Finalement, il a continué à sévir, de plus belle, mais en deçà de ce qu’on lui prête.
La moralité de l’histoire tient en une question: sans vouloir sataniser qui que ce soit, faut-il tout imputer à Satan? Depuis la nuit des temps, à ce jour, on a continuellement fait le constat, souvent à nos dépens, que se défausser sur Satan n’est pas la solution. Mais on n’a toujours pas appris la leçon. Sur ce, Satan aura toujours du travail. Il s’est rendu tellement indispensable!.